Bertrand Belin
Grands Carnivores
P.O.L, 176 p., 16 euros C’est une ville de l’Empire, partagée entre ses zones impures, nauséabondes, en proie à la désagrégation, où une population abandonnée, sans issue, essaie de survivre, et ses parties opulentes, autoritaires, orgueilleuses, profitant outrageusement de la réussite de son modèle de développement industriel. Deux frères, opposés en tout, y ferraillent à distance. L’un, récemment promu directeur des entreprises de boulons, considère son épouse comme « dispensatrice » de son confort, engrange avec avidité, peaufine sa respectabilité, veille avec soin sur la mécanique de son ascension, rêve d’un nouvel ordre salvateur, purificateur, et d’un peuple « lavé et renouvelé ». L’autre, peintre d’une réalité brutale, tranchante, escorté d’une superbe compagne, « grand vivant » fréquentant le faubourg et ses dérives dangereuses, alcoolisées et extravagantes, et animé par le désir de précipiter la fin d’un monde pour en bâtir un meilleur. Le lendemain de l’arrivée d’un cirque en ville, le valet découvre les cages aux fauves « grandes ouvertes » et « plus rien dedans ». Malgré les recherches, les fauves « ne sont ni visibles ni nulle part, hélas, il faut donc qu’ils soient partout ». La colère se mêle à l’épouvante. Le grand essorage est en route. Mais à qui profitera-t-il ? La rumeur lâche la bride à toutes les fièvres. Qui servira de repas aux « grands carnivores » ? Les classes dominantes? Les oubliés des marges incertaines ? Bertrand Belin explore les eaux ténébreuses d’un temps de possession et de soumission. Sa fable prend ainsi une vive épaisseur par de nombreux retours sur ses principales étapes et péripéties, et cette addition de répétitions et de reprises apporte des informations supplémentaires, d’autres réglages des angles de vue, et impose une allure inattendue.