DIEU, SEXE ET LOI
nifesterait au long de son histoire jusqu’à nos jours un déni du corps et du sexe. Sans doute, les ignorantins qui les colportent, chrétiens et non-chrétiens (ceux-là plus blâmables que ceux-ci), confondent-ils le catholicisme avec plusieurs de ses surgeons, hérésies gnostiques, sectes de presbytériens puritains, évangélismes toutes moutures qui envahissent aujourd’hui Afrique et Amérique latine. L’Église, suspectée de refouler la chair et le sexe? Mon Dieu ! Elle n’a été occupée pratiquement que de ça pendant des siècles, elle a écrit, débattu sans fin sur ça dans toute l’Europe chrétienne. L’essai de Marta Madero en apporte la preuve. On découvre en le lisant un volumineux corpus constitué de textes de droit canonique qui ont suscité des sommes, des gloses, des commentaires, souvent d’une crudité qui laisse pantois. Théologiens, canonistes, casuistes, hommes d’Église, prêtres, évêques, archevêques, et papes compris, sont intervenus sur la façon dont les conjoints pouvaient baiser, entre eux et hors de leur couple. Tous les cas de figures sont examinés, discutés, approuvés ou condamnés: la virginité, les positions pendant le coït, la masturbation, masculine, féminine, la castration, la fellation, la sodomie, l’homosexualité, l’adultère, l’impuissance, l’avortement…
LES HANDICAPÉS DE LA VERGE
Que de on-dit à revoir ! Une inférieure, la femme? On apprend qu’elle bénéficiait des mêmes droits que l’homme dans le mariage, dont celui d’avoir accès au corps de son époux. Elle pouvait exiger de lui des rapports sexuels et, en cas de manque, avoir recours aux tribunaux. La patristique et la scolastique reprenaient sur ce point l’essentiel du droit romain. De tels débats se sont ainsi poursuivis bien au-delà du 15e siècle. Les eunuques. Peuvent-ils se marier ? Bagarre entre un évêque espagnol et le nonce apostolique, qui sera tranchée par le pape Sixte V. Tout dépend si le castrat a eu la queue coupée, ou si ce sont les couilles qu’on lui a ôtées. Dans ce cas-ci, pas de mariage, parce que les testicules ne produisent plus le « verum semen ». Même interdit pour ceux qui ne peuvent assurer une pénétration suffisante du vagin. Le pape Innocent IV énumère avec précision les handicapés de la verge: le membre ardidum (rabougri), parvum (petit), siccum (desséché). Il y a aussi les cas des éjaculateurs précoces, de ceux qui ont deux verges, des couilles comme des pois chiches, ou bizarrement placées au-dessus de la verge. Idem pour les femmes qui ont un vagin trop large ou atrophié. L’avortement. Condamné, croyez-vous, en ayant en tête les débats actuels. Pas si simple. Bartholomé de Brescia propose un ajout à la glose de Jean le Teutonique: le canon affirme que « n’est pas homicide celui qui induit un avortement avant l’infusion de l’âme dans le corps » (entendons: avant que le corps ne soit formé, que ses contours apparaissent nettement).
LE « VASE INADÉQUAT »
Virginité et conception. Vincent d’Espagne, s’appuyant sur Averroès, affirme la possibilité de la commixtio seminum, l’insémination sans pénétration, explicable par le pouvoir autonome qu’a la vulve d’attirer à distance le sperme, au cours d’un bain commun par exemple. Le cas de Marie, se demanderont quelques-uns ? Adultère et sodomie. Contrairement à la plupart des autres religions, la sodomie n’est pas un crime passible des pires peines, simplement une cause de divorce. Encore faut-il que la hiérarchie ecclésiastique, canonistes et casuistes, affinent leurs analyses. S’agit-il de la pénétration in illo membro posteriori de l’épouse, ou d’une personne autre? Entre hommes, selon que la sodomie est active ou passive, le degré de gravité n’est pas le même: passive pour la femme ou pour l’homme, tous deux pénétrés dans le « vase inadéquat », la gravité est atténuée parce que celui qui « se laisse faire n’émet pas de semence ». Pour Innocent IV, sodomiser sa femme ne devait donc pas donner lieu à une séparation. Rapports sexuels avec des animaux : les avis varient. Pour le cas où la copule est réalisée avec une femme morte ou une bête morte, pas une cause de divorce selon le jésuite Tomás Sánchez ( c’est comme faire l’amour avec une « statue »). En revanche, divorce imposé au membre d’un couple qui a refusé de baiser avec le conjoint, ou la conjointe, atteint de lèpre. Un cas pas banal, pour finir, qui a donné des maux de tête aux casuistes : un ressuscité, prenons Lazare, avait-il le droit de reprendre sa femme qui s’était remariée pendant que lui visitait le royaume des morts? On le voit, mille situations épineuses sollicitaient la réflexion de ces spécialistes européens du droit canon. Ces messieurs ne craignaient pas le chômage. À l’heure actuelle, leurs descendants non plus, avec ces improbables histoires de PMA, GPA, LGBT…