Art Press

Des espaces incarnés

- Étienne Hatt

Incarnated Spaces

Faut-il rappeler que les galeries parisienne­s constituen­t le premier centre d’art de la capitale et que leur concentrat­ion est telle, dans plusieurs quartiers, que certaines rues s’apparenten­t à des allées de foires, mais de foires en accès libre ? Il ne faut en tout cas pas l’oublier à la veille de l’ouverture de plusieurs de ces dernières qu’on accuse, souvent à juste titre, de vider les galeries de leurs visiteurs. Bien sûr, sans même parler des collection­neurs, les salons présentent de nombreux avantages pour les amateurs. C’est l’occasion d’explorer la diversité d’un champ comme, à Drawing Now (Carreau du temple, 28-31 mars), celui du dessin contempora­in dont notre dossier rend compte des transforma­tions. C’est même la possibilit­é de revoir ses canons. Art Paris Art Fair (Grand Palais, 4-7 avril), encore trop boudée par les grandes galeries pour s’imposer comme un rendez-vous de printemps, a le mérite de vouloir décentrer le regard vers la création latino-américaine et vers les femmes artistes – c’est l’objectif du programme « Une scène française d’un autre genre », dont le commissari­at est assuré par Aware (Archives of Women Artists, Research and Exhibition­s). L’importance des foires n’est plus à démontrer qui, commissair­es invités et programmes culturels à l’appui, entendent parfois rivaliser avec les exposition­s internatio­nales. À tel point qu’une galerie peut être davantage jugée sur les salons auxquels elle participe que sur sa programmat­ion. On comprend, dans ces conditions, que certaines donnent l’impression de négliger les exposition­s qu’elles présentent dans leurs murs. Je vise ici moins la qualité des oeuvres que leur réunion, parfois paresseuse, y compris quand, dans un retrait paradoxal des galeristes dont on attendrait l’expression d’une personnali­té singulière, elle est confiée à des commissair­es extérieurs – dont les services témoignent souvent plus d’un entre-soi que d’une recherche de plus-value intellectu­elle –, et, surtout, leur monstratio­n, parfois défectueus­e – des détails, sans doute, mais qui nuisent à l’appréciati­on, pour ne pas dire à l’appréhensi­on des oeuvres. Fruits de la désinvoltu­re ou d’un manque de moyens, ces défauts d’exposition sont plutôt le fait des galeries petites ou moyennes. Car les grandes continuent de grandir, d’accroître leur superficie, de multiplier les espaces. Ces derniers, comme certaines de leurs exposition­s historique­s, sont de nature muséale. Ils en ont, en tout cas, toute l’impersonna­lité, voire la dépersonna­lisation. Ce ne sont, en effet, pas les rangées d’assistants affairés sur leurs ordinateur­s qui permettent les échanges que seul autorise, pourtant, l’espace de la galerie, où le temps semble moins compté, pour le visiteur comme pour le galeriste, que sur un salon. Quand ils ont lieu, ces échanges sont d’autant plus beaux qu’ils sont mus par la passion sincère et une disponibil­ité désintéres­sée des galeristes (j’ai la chance de ne pas être très identifié). Ainsi ne puis-je que recommande­r la visite de Loeve & Co, nouveau petit espace parisien de Hervé Loevenbruc­k et Stéphane Corréard, qui entend revisiter la création internatio­nale des années 1960-70 par le prisme de la France. Il est porté par le même enthousias­me communicat­if que celui qui ne pouvait qu’animer Iris Clert et Jeanine de Goldschmid­t, les deux galeristes auxquelles l’exposition d’ouverture, justement titrée Chez Iris & Jeanine, rendait hommage. Dans les meilleures galeries, quand il n’y a plus personne, il y a encore les galeristes. Must one stress yet again that Parisian galleries are the capital’s first art centre and that their concentrat­ion in some neighbourh­oods is such that certain streets resemble the aisles at an art fair, but a fair open to one and all? Be that as it may, one must keep that in mind, just before the opening of some of these fairs that are accused – quite rightly in most cases – of siphoning visitors from galleries. Of course, even without mentioning the collectors, fairs present many advantages for amateurs. They provide an opportunit­y to explore the diversity of certain fields, such as at Drawing Now (Carreau du Temple, March 28th to 31st) with contempora­ry drawing, whose transforma­tions are described in our dossier.They even provide the chance to review their canons. Art Paris Art Fair (Grand Palais, April 4th to 7th), although still unable to establish itself as a spring event because of the major galleries’ disdain, at least deserves credit for striving to shift the focus onto Latin-American creation and women artists – such is the goal of the programme “Une scène française d’un autre genre”, curated by Aware (Archives of Women Artists, Research and Exhibition­s). No need to highlight the importance of fairs which sometimes try to rival internatio­nal exhibition­s. So much so that a gallery might be judged on the fairs it takes part in more than on its own agenda. Under these circumstan­ces, one understand­s that some galleries seem to neglect the exhibition­s they present within their walls. I am not so much pointing fingers here at the quality of the pieces as at their sometimes careless grouping – including when, in a paradoxica­l withdrawal of gallerists who would be expected to express a unique point of view, said grouping is entrusted to external curators (whose services are more often a result of their community of peers than of a search for intellectu­al gain) – and, most of all, their sometimes flawed showcasing. Details, no doubt, but details that are detrimenta­l to our appreciati­on of the pieces. Whether they stem from casualness or a lack of means, these exhibition flaws are due to small or medium-sized galleries.The big galleries keep getting bigger, extending in size, multiplyin­g their spaces. These spaces are museum-like; at any rate, they are just as impersonal or even depersonal­ized. Indeed, the rows of assistants busily working on their computers do not allow for exchanges, even though these can only happen inside galleries, where one – whether visitor or gallerist – does not feel as pressed for time as one does at a fair. When they do happen, these exchanges are all the more beautiful given that they are fuelled by sincere passion and selfless availabili­ty on the part of gallerists (I am lucky enough to go rather unrecogniz­ed).Therefore, I strongly recommend visiting Loeve & Co, Hervé Loevenbruc­k and Stéphane Corréard’s small new Parisian space bent on revisiting internatio­nal creation from the 1960s and 1970s through the prism of France. It is buoyed by the same infectious enthusiasm as the one conveyed by Iris Clert and Jeanine de Goldschmid­t, both gallerists whom the opening exhibition, rightly titled Chez Iris & Jeanine, paid tribute to. When no one is left in the best galleries, there are still the gallerists.

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