Le tournant performatif
The Performative Turning Point
C’est un délicat exercice de s’inventer, le temps d’un article, Madame Soleil plutôt que critique d’art : tâcher de donner les grandes lignes d’une foire que l’on a essayé de décrypter par dossiers de presse, échanges de courriels, coups de téléphone, messagerie instantanée. Pour les fondations générales, quelques rappels : le salon Drawing Now ouvrira cette année ses portes pour sa treizième édition, sous la direction artistique de Joana P.R. Neves, avec plus de 70 galeries françaises et internationales. Il y aura des « talks », un parcours interne « Master now », trois secteurs dont un nommé « Insight » et un autre « Process » ; seules les galeries établies ont l’honneur d’exposer dans le « secteur général », à l’appellation francophone foncièrement moins hype. La liste des galeries s’avère réjouissante, avec des stands de Réjane Louin, Christian Berst, Modulab, Maïa Muller ou encore VNH, qui participe pour la première fois à la foire. On constate, de manière générale, une représentativité accrue d’oeuvres d’artistes femmes, et pas seulement de très jeunes ou de très âgées. Même si on ne peut que se réjouir de l’exposition d’oeuvres de Vera Molnàr (Berthet-Aittouarès), Pierrette Bloch (Karsten Greve) ou Etel Adnan (Lelong), la présence de plasticiennes en milieu de carrière est un vrai point fort de la foire : Yasemin Senel (galerie DYS), Karin van Dam (Maurits van de Laar), Isabel Albrecht (Patrick Heide), pour n’en citer que quelques-unes. Le salon poursuit par ailleurs son désir de continuer à mettre en valeur la bande dessinée contemporaine : outre les dessins au stylo bille d’Emil Ferris à la galerie Martel, la galerie Huberty & Breyne mêlera différentes générations de dessinatrices en montrant des planches d’Aude Picault, de Catherine Meurisse et de Claire Brétécher et ses inimitables Frustrés. ACTION! Toutefois, la grande orientation du salon semble être celle que Joana P.R. Neves a souhaité mettre à l’honneur avec son programme « Action ! », que l’on pourrait nommer le tournant performatif du dessin contemporain. De manière générale, cet intérêt pour les formes d’action, qu’elles soient spectaculaires ou fondées sur le récit et la rumeur, participe de cette extension du dessin que l’on désigne plus aisément en anglais sous le terme d’expanded drawing. Il s’agit, comme lorsqu’il se lie avec la vidéo, le texte, la sculpture ou avec tout autre médium, d’une façon d’envisager le dessin par un biais qui mettrait d’abord en avant son hétérogénéité première, loin des corsets d’une prétendue pureté de ce qui fut pendant longtemps la base des études en art. On pourrait également dire qu’il s’agit d’une autre façon d’envisager le rapport au corps des artistes face au travail: il y a quelques années, qui aurait eu l’idée d’évoquer les écritures régulières, les récitations de nombres en polonais et les séances photographiques de Roman Opalka en les décrivant telles des expériences concrètes de l’épuisement, proches d’actions de performeurs qui lui étaient contemporains? Le récit de la réalisation des oeuvres s’infiltre aujourd’hui dans la réception critique de cellesci : le corps, qu’on proclame disparu tous les dix ans, revient encore et toujours. Toutefois, il n’est désormais plus représenté, mais véritablement incarné par l’action même des artistes. Ce tournant est particulièrement manifeste dans les productions de Diogo Pimentão, qui proposera une performance au cours du salon : depuis le début des années 2000, il a fait de ces liens entre dessin, performance et