Art Press

Binelde Hyrcan

- Safia Belmenouar

Jeune artiste angolais, Binelde Hyrcan travaille à la croisée de nombreuses pratiques artistique­s – peinture, performanc­e, vidéo et installati­on. Déconstrui­sant des situations, utilisant des objets familiers avec ironie et humour, il mène une réflexion tant sur des problèmes sociaux complexes que les mécanismes du pouvoir. La visite de son atelier, par l’entremise de Skype, plonge d’emblée dans son univers.

Au sol, de vieilles télévision­s diffusent des images de médicament­s stimulateu­rs de l’activité sexuelle vendus dans la rue par des femmes criant dans des mégaphones: « J’ai du Pau de Cabinda, du Puxa a petite do amor, du Timbatimba (1). » À côté, un satellite en cours de fabricatio­n, réponse au premier satellite angolais perdu dans l’espace. Binelde Hyrcan raconte: « Il est dans l’air, quelque part. Moi, je vais mettre celui-ci dans la baie de Luanda et dire que je l’ai retrouvé. » Accompagna­nt le projet, des peintures détournent des unes des journaux El País, Jornal de Angola, le Monde et même artpress en fausses nouvelles : « Un artiste a trouvé un satellite », « Un pêcheur a trouvé un satellite qu’il a vendu à un artiste. » Déjà, en 2018, In God We Trust consistait à faire couler une voiture dans la baie. Le lendemain, camions de pompiers, voitures de police et journal local étaient sur place : « Je suis allé en prison et j’ai dû payer une amende. Cette amende, je l’ai revendue à un collection­neur, cela m’a permis de faire le satellite. Satellite que je vais faire couler au même endroit ! Et quelqu’un achètera sans doute la nouvelle amende ! » Et d’ajouter : «Tout fonctionne de cette manière dans mon travail. Cet écosystème construit une poésie. Mon oeuvre est aussi faite d’accidents, de pieds de nez. » CHAOS ET BEAUTÉ Binelde Hyrcan a fait construire son atelier au premier étage de la maison de son enfance, sur l’île du Cap, étroite bande de terre qui fait face à la capitale angolaise, Luanda. Il cultive très tôt une sensibilit­é artistique en soudant un vélo géant avec des morceaux de ferraille ou en fabriquant des parachutes pour des poules. Adolescent, il part pour Nice, puis intègre l’ESAP-Pavillon Bosio à Monaco, dont il sort diplômé en 2010. Lors de la 56e Biennale de Venise en 2015 (2), il présentait deux oeuvres emblématiq­ues : la vidéo Cambeck (2010) et l’installati­on Thirteen Hours (2013). Profondéme­nt marquée par la guerre civile qui prit fin en 2002, Cambeck raconte une histoire de l’Angola: « Nous ne sommes pas à Hollywood et je ne suis pas américain. Je suis d’Angola, mais du monde aussi. Comment faire une vidéo en réunissant cette équation ? Car, ici, c’est aussi le chaos. Mais il y a une poésie, une beauté tragique. » Il imagine alors un dialogue où des enfants jouent deux chauffeurs à l’avant et deux hommes fortunés à l’arrière d’une limousine : « Mon père, en ce moment, il se trouve en Amérique! Il est là-bas en good life! […] Je serais là-bas aussi et toi ? Tu vas être dans les bidonville­s […] dans une maison en canettes ! » Caméra posée au sol, tournée en décor naturel, la mise en scène épurée est d’une grande efficacité visuelle. L’économie de moyens – une voiture suggérée par quelques éléments scéniques, tels des trous creusés dans le sable pour les sièges ou une tong pour le volant – concentre l’action sur les dialogues, les regards et les mouvements des jeunes comédiens. Avec l’innocence et la naïveté des jeux d’enfants, Cambeck dresse un portrait à nu de la société angolaise en évoquant différents aspects liés aux inégalités sociales et aux phénomènes migratoire­s. HUMOUR ET IRONIE Également au coeur de son travail, on trouve des poules taxidermis­ées. Dans Thirteen Hours, vingt-cinq poules naines, habillées en soldats, suivent une poule-roi qui se dirige vers des rangées de cercueils. Au mur, une photograph­ie met en scène une poule déclamant un discours politique, tandis que deux poules se tiennent près d’une potence. Avec humour et ironie, ce symbole convoque la vanité contempora­ine en pointant le ridicule des puissants et leurs illusions de grandeur. L’une de ses dernières installati­ons, The King Is Dead! Vive le

roi (2017), a été présentée à la Documenta 14, à Athènes, où l’une des poules a été volée. Explorant ce motif depuis près de sept ans, l’artiste y voit une forme de conclusion, car « c’est aussi du sang, des carcasses, la mort. […] Le plus étonnant a été de recevoir des messages de mafieux me proposant leur aide ! J’ai adoré que ce vol ait eu lieu, c’est comme l’accident de la voiture, mes différente­s arrestatio­ns, les poules en parachutes, etc. » Parallèlem­ent, Binelde Hyrcan réalise des performanc­es qui prolongent sa réflexion autour de l’absurdité du pouvoir et de la vanité humaine. Dans King (2010-11), il prétend être un roi et ordonne aux passants de le pousser, alors qu’il est assis dans une cage ; dans White Rain (2014), il reste assis neuf heures sur une chaise d’une taille démesurée, devant l’administra­tion de Luanda, où les mouettes ont l’habitude de déféquer. Il explique : « Si on garde un trône longtemps, on peut récolter la merde à la fin ! Les gens pensaient que j’étais fou, mais pour qu’ils s’intéressen­t, comprennen­t, ils doivent me voir. » Certes, il n’existe pas de musée d’art contempora­in et à peine trois ou quatre galeries à Luanda, mais, comme le souligne Binelde Hyrcan, y vivre est tout aussi inspirant que nécessaire : « Un pays sans culture est un pays vulnérable. […] Oui, c’est la ville la plus chère d’Afrique, et même du monde, mais tu te sens vivant. C’est Cinecittà, un décor de Pasolini, de Fellini ! Parfois, c’est psychédéli­que ! Un poème de la Beat Generation avec Jack Kerouac ou William Burroughs! » Ses prochains projets ? Un film d’animation où des poules volent le mausolée de l’ancien président pour partir sur la Lune. Sur le chemin, elles auront un accident, justement avec le fameux satellite égaré. Dernièreme­nt, il a rêvé qu’il nageait avec des singes aquatiques : « Je suis parti au Congo, j’ai le lieu, l’équipe, le bonobo. Je n’ai plus qu’à y retourner pour le filmer avec un masque et un tuba. » (1) « Pau de Cabinda » : Viagra, « Puxa a petite do amor » : activateur d’appétit sexuel, «Timbatimba » : Lève ton sexe. (2) Binelde Hyrcan était l’un des cinq artistes sélectionn­és pour l’exposition du pavillon national angolais, intitulée On

Ways of Travelling. En 2013, lors de sa première participat­ion, l’Angola avait remporté le Lion d’or du meilleur pavillon national de la 55e Biennale de Venise. Young Angolan artist Binelde Hyrcan works at the junction of many artistic practices – painting, performanc­e, video and installati­on. By deconstruc­ting situations and using familiar objects with irony and humour, he engages in critical thinking about complex social problems as well as the mechanisms of power. When visiting his studio, by way of Skype, one is immediatel­y immersed in his world. On the floor, old television sets broadcast images of pills meant to boost sexual activity, sold on the street by women yelling through megaphones: “I’ve got Pau de Cabinda, Puxa a petite do amor, Timbatimba (1).” Nearby sits a satellite in the making, as a response to the first Angolan satellite lost in space. “It’s up there somewhere”, explains Binelde Hyrcan, “I’m going to put this one in Luanda Bay and say I found it.” As part of the project, paintings divert headlines from various newspapers, El País, Jornal de Angola, Le Monde, and even from ArtPress, into fake news: “Artist finds satellite”, “Fisherman finds satellite and sells it to artist.” In 2018, In

God We Trust entailed the sinking of a car in the bay. The next day, fire engines, police cars and local papers were on site: “I went to jail and had to pay a fine. I sold that fine to a collector, which enabled me to build the satellite. A satellite I will be sinking in the same exact spot! And someone will probably buy the new fine!” Then he adds: “That’s how all my work goes.This ecosystem builds up a form of poetry. My art is also made of accidents, of mockeries.”

CHAOS AND BEAUTY

Binelde Hyrcan had his studio built on the first floor of his childhood home, on the Cape Island, narrow strip of land facing Luanda, the Angolan capital. Very early on, he cultivated a taste for art by welding a giant bicycle from scrap iron or creating pa

rachutes for chickens. In his teenage years, he left for Nice before getting into the ESAPPavill­on Bosio in Monaco, from which he graduated in 2010. At the 56th Venice Biennale (2), he presented two emblematic pieces: Cambeck (video, 2010) and Thirteen Hours (installati­on, 2013). Deeply affected by the civil war, which ended in 2002, Cambeck is a story about Angola: “We are not in Hollywood and I am not American. I am from Angola, but also from the world. How can I make a video that brings together this equation? Because here, it’s chaos too. But there is a kind of poetry, a tragic beauty.” He then imagined a dialogue between children playing, two of them pretending to be the chauffeurs of two rich men sitting in the back seat of a limousine: “My dad, right now, he is in the United States! He is there ‘in good life’! In a couple of months, I’ll be there too, what about you? You’ll be in the slum […] in a house made of cans!” With the camera set on the ground, filmed on location, the sober scene is highly effective from a visual standpoint. Cost-efficient – a car conjured up by a few scenic elements such as holes in the sand for seats or a flipflop for a steering wheel –, the scene focuses on the dialogues, the movements and the looks exchanged by the young actors. Through the innocence and ingenuity of childhood games, Cambeck portrays an exposed Angolan society by pointing out various aspects linked to social inequaliti­es and migration phenomena.

HUMOUR AND IRONY

At the heart of his work, there are also taxidermiz­ed chickens. In Thirteen Hours, twenty-five dwarf chickens, dressed as soldiers, follow a chicken-king towards a row of coffins. On the wall, a photo shows a chicken delivering a political speech while two others stand near a gallows. With humour and irony, this symbol summons contempora­ry vanity by pointing out the ridicule of the powerful and their illusions of grandeur. One of Hyrcan’s latest installati­ons, The King is

Dead! Vive le Roi (2017) was presented at the Documenta 14 in Athens, where one of the chickens was stolen. Having explored this motif for nearly seven years, the artist saw this as a kind of conclusion, because “it is also blood, carcasses, death. […] What surprised me the most was to receive messages from Mafiosi, offering their help! I love the fact that this theft happened, it’s like the car accident, my various arrests, the chickens in parachutes, etc.” Simultaneo­usly, Binelde Hyrcan put on performanc­es that dug deeper into the absurdity of power and human vanity. In King (2010, 2011), he claimed to be a king and ordered bystanders to push him while he sat inside a cage; in White Rain (2014), he spent nine hours sitting on a oversized chair in front of Luanda administra­tion offices, where seagulls are known to defecate. “If you stay on a throne for too long, you might end up full of shit! People thought I was mad, but in order for them to take an interest, to understand, they had to see me.” Admittedly, there is no contempora­ry art museum in Luanda and only three or four galleries, but as Binelde Hyrcan points out, living there is just as inspiring as it is necessary: “A country without culture is a vulnerable country. […] Yes, it is the most expensive town in Africa, in the world even, but you feel alive. It’s Cinecittà, a set out of a Pasolini, a Fellini! Sometimes it’s psychedeli­c! A Beat Generation poem with Kerouac or Burroughs!” His next projects? An animated movie where chickens steal the former president’s mausoleum to fly to the moon. Along the way, they will get into an accident with the aforementi­oned stray satellite. Recently, he dreamt he was swimming with aquatic monkeys: “I went to Congo, I found the place, the team, the bonobo. All I need is to go back there and shoot in a snorkel.” (1) “Pau de Cabinda”: Viagra, “Puxa a petite do amor”: sexual appetite activator, “Timbatimba”: Get it up. (2) Binelde Hyrcan was one of five artists selected for the exhibition of the Angolan Pavilion, On Ways ofTra

velling. In 2013, when he first participat­ed, Angola won the Golden Lion for best National Pavilion of the 55th Venice Biennale. Binelde Hyrcan Né en / born 1983 Vit et travaille à / lives in Luanda Exposition­s récentes/ Recent shows: 2013 Le Pont, MAC, Marseille, No Fly Zone. Unlimited Mileage, Musée Berardo, Lisbonne 2014 Sights and Sounds: Global Film and Video, Jewish Museum, New York 2015 On Ways of Travelling, 56e Biennale de Venise (pavillon angolais) ; Gran Turismo, Centre Pompidou 2017 Fuck It’s Too Late, Galerie Balcony, Lisbonne Documenta 14, Athènes 2018 Ailleurs est ce rêve proche, Villa du Parc, Annemasse, Encore un jour banane pour le poisson-rêve, Palais de Tokyo, Paris

2019 Prospectif cinéma, Centre Pompidou, Paris

 ??  ?? « In God We Trust ». Installati­on. 2018.
(Tous les visuels / all images: Ph. DR)
« In God We Trust ». Installati­on. 2018. (Tous les visuels / all images: Ph. DR)
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 ??  ?? « King ». Performanc­e. 2010-2011
« King ». Performanc­e. 2010-2011
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Cette page, de haut en bas / this page, from top: « Cambeck ». Vidéo. 2010 «The King is Dead! Vive le Roi ». Installati­on. 2017.
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