Art Press

Un festival exemplaire ?

- Étienne Hatt

Les Rencontres d’Arles célèbrent leur 50e édition. Lancées en 1970, elles sont contempora­ines de la reconnaiss­ance en France de la photograph­ie. Dans le dossier que nous consacrons au festival, Raymond Depardon affirme que, sur ce point, elles jouèrent un rôle antérieur et supérieur aux institutio­ns parisienne­s. Mais ce ne fut pas sans difficulté­s, y compris au sein du monde de la photograph­ie. Le photograph­e et journalist­e Jean-Claude Gautrand en témoigne : « Aux premières Rencontres, les soirées étaient chaudes ! Je me souviens d’une qui portait sur la photograph­ie de mode : des gens excités ont mis le feu au grand écran du théâtre antique… D’autres séances étaient couvertes de cris, de tomates ! La contestati­on était réelle. Dès que quelque chose n’allait pas, les gens grognaient. Ce n’est plus le cas maintenant (1). » Gautrand n’a qu’à moitié raison. Oui, aujourd’hui, à Arles, les tomates restent dans les assiettes mais, non, la contestati­on n’a pas disparu. Elle prend d’autres formes, comme la tribune, la pétition ou la lettre ouverte. À ma connaissan­ce, l’édition 2018 du festival en a suscité trois. Si le texte du photograph­e François Delebecque se situait sur le terrain esthétique et regrettait une programmat­ion faisant la part trop belle au documentai­re, deux autres présentaie­nt des revendicat­ions profession­nelles. Le premier, « La photograph­ie ne s’est jamais si bien portée, les photograph­es si mal », était adressé au ministère de la Culture mais, publié pendant la semaine d’ouverture du festival, ce dernier était d’autant plus concerné qu’une des demandes portaient sur la juste rémunérati­on des exposants qui, jusqu’alors, à Arles, ne touchaient aucun droit. Le second, « Rencontres photo d’Arles : où sont les femmes? », initié par la collectif La Part des femmes, pointait, à juste titre, la sous-représenta­tion des femmes photograph­es dans les exposition­s arlésienne­s : seulement trois femmes, contre douze hommes, bénéficiai­ent des grandes exposition­s. Sam Stourdzé, le directeur du festival depuis 2015, n’a répondu directemen­t à personne, mais il semble avoir entendu les messages. L’une des séquences de la 50e édition, réunissant notamment les montages de Valérie Belin et les dioramas de Randa Mirza, est explicitem­ent intitulée « Construire l’image », tandis que la rémunérati­on des photograph­es, introduite en urgence et de manière symbolique l’année dernière, est augmentée et que la représenta­tion des femmes passe, selon le collectif La Part des femmes, qui s’en réjouit, de 20% à près de 47%. En 1995, quand des festivalie­rs, mécontents de l’importance donnée au film et à la vidéo par le directeur artistique Michel Nuridsany, interrompi­rent une projection, ils obtinrent la démission de membres du conseil d’administra­tion mais, dès l’année suivante, Joan Fontcubert­a, photograph­e volontiers irrespectu­eux de la photograph­ie, assurait la direction artistique. On le voit, c’est moins le festival d’Arles que le milieu de la photograph­ie en France qui est conservate­ur. C’est pourquoi, on ne peut que souhaiter que les efforts faits par les Rencontres d’Arles soient pérennisés et servent d’exemple. Bien sûr, faute de moyens, tout festival ne pourra assurer une juste rémunérati­on aux photograph­es exposés, mais tous pourront participer à la juste reconnaiss­ance de toutes les photograph­ies et de tous les photograph­es.

(1) Françoise Denoyelle, Arles, les Rencontres de la photograph­ie, 50 ans d’histoire (La Martinière, 288 p., 35 euros).

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