Henni Alftan
Depuis sa formation à la Villa Arson, puis à l’École nationale des beaux-arts de Paris, Henni Alftan construit une peinture photographique, son imaginaire étant guidé par la fragmentation – celle de l’image, des corps, des objets et de la narration.
Née à Helsinki, Henni Alftan a choisi de s’installer en France pour y étudier et y travailler. Depuis quelques années, elle développe une peinture qui met la perception à l’épreuve. « Je peins des images », précise-t-elle. Rien ne nous est jamais donné dans sa totalité. La dimension narrative et temporelle de la peinture nous échappe. Le bavardage est exclu. Henni Alftan travaille la question du cadre et du cadrage à partir de ses observations quotidiennes. Dans ses carnets, elle dessine des détails, ainsi que les grandes lignes des images qu’elle retient. D’une scène spécifique, elle fixe un regard, une main, un objet, une silhouette, une ombre, le détail d’un vêtement, un geste, un motif, une couleur. En s’attachant à reproduire en peinture les éléments presque invisibles du quotidien, du commun, Henni Alftan nous invite à réfléchir à ce que nous voyons, au monde visible et à ses modes de représentations. En ce sens, ses oeuvres nous amènent à penser l’image à travers l’objet peinture: son histoire, son actualité, sa légitimité, sa matérialité et sa dimension conceptuelle.
DE LA PHOTOGRAPHIE Henni Alftan explore les problématiques inhérentes à deux histoires croisées, celle de la peinture et celle de la photographie. Les oeuvres sur toile s’inscrivent dans une recherche picturale traditionnelle : la surface, la profondeur, l’aplat, la couleur, l’objet, le regard, la ligne, la composition, le motif, le cadrage, le récit (ou plutôt le refus de ce dernier), l’image dans l’image, le miroir ou encore le montage. Si sa peinture est figurative, elle ne s’inscrit en aucun cas dans une approche illusionniste ; au contraire, synthétique, elle va à l’essentiel de la forme, de la ligne et de la couleur. Pourtant, la photographie joue un rôle important dans la construction de ses oeuvres et dans sa manière d’envisager le réel. Elle est notamment présente dans ses choix de cadrages qui, souvent, sont en décalage avec ceux habituellement employés en peinture. Elle précise : « J’aimerais voir l’instant où la peinture commence à faire référence, à ressembler à autre chose qu’à elle-même. C’est pourquoi je cherche à donner seulement la quantité nécessaire d’éléments, d’indices. Ce que vous pensez voir est souvent à l’abri des regards. » Effectivement, la notion de regard relie les problématiques de la peinture et de la photographie. De manière quasi systématique, l’artiste esquive le contact visuel direct entre le sujet figuré et le regardeur. Le face-à-face est évité au profit de situations étranges et poétiques. La question du regard est récurrente : une femme devant un miroir pose une lentille sur son oeil, une autre se regarde dans la lame d’un couteau, les yeux d’un homme sont obstrués par des ombres noires, un couple endormi est allongé dans l’herbe sous l’ombre d’un arbre, une nageuse nous tourne le dos. Les regards sont absents, empêchés, obstrués, détournés, mis en abîme ou dupliqués. Ainsi la part de subjectivité, d’interprétation ou de projection est volontairement réduite afin que le regardeur puisse focaliser son attention sur les détails, les indices et les amorces d’un récit rendu impossible.
JEUX DE MIROIRS Henni Alftan travaille actuellement à une nouvelle série de peintures qui fonctionne par diptyques. Si les tableaux sont séparés dans deux espaces différents, ils interagissent néanmoins par leur traitement et leur sujet, étant pensés à la manière d’un miroir déformant puisqu’une même scène est envisagée selon un point de vue différent, un ajout, un déplacement. Une peinture présente un homme de profil, tandis que l’autre le montre de face. Sur un mur de brique apparaît un mot inscrit à la bombe de peinture bleue, « Run », l’autre tableau affiche le mot « Now ». L’artiste instaure un jeu visuel et mémoriel en proposant deux séries où un même sujet diffère légèrement. Par un subtil jeu de mouvement, l’artiste entrouvre un espace où la narration devient possible. Ses tableaux participent d’une réflexion sur la représentation du réel, du sujet et de celui qui regarde. Henni Alftan y distille parcimonieusement une atmosphère nourrie d’une inquiétante étrangeté. Les oeuvres sont traversées d’un silence troublant, d’une violence sourde : la main gantée d’un chirurgien, des ecchymoses, le verre brisé d’une paire de lunettes, un incendie, un corps plongé dans une baignoire, une longue cicatrice autour d’une oreille. À cela s’ajoute la récurrence des couteaux, des masques, des ombres, des visages absents et des corps dédoublés. Ainsi, Henni Alftan manipule et perturbe le sens des images qu’elle nous donne à voir. Avec un style simple et efficace, elle questionne notre rapport à la construction de l’image en brouillant les registres, les références, les indices d’espace et de temps.