DANS LE MIROIR DE L’HISTOIRE
L’histoire de Jeune Création – anciennement Salon de la Jeune Peinture –, longue de 70 ans, n’a été retracée que demanière lacunaire, souvent subjective. Les archives, disparates, ne sont que partiellement conservées. Poreuse aux époques traversées, l’identité de l’association a fluctué. Le contexte se fait ainsi fil conducteur.
Bien que le terme « salon » n’apparaisse plus, depuis 1990, dans son appellation, l’association s’inscrit dans la lignée de ces événements parisiens organisés et gérés par des artistes, hors institutions publiques et marché de l’art. Le premier salon1, d’abord sous l’autorité de l’État, fut celui de l’A’cadémie royale de peinture et de sculpture (1667). Puis, contre l’art officiel, des sociétés d’artistes prirent le relais : Salon des Refusés (1863), Salon des Indépendants (1884), Salon d’A’utomne (1903), Réalités Nouvelles (1939), Salon de Mai (1945), Salon de Montrouge (1955) ou encore Salon des Jeunes Peintres (1949), à l’origine de Jeune Création.
En France, la scène culturelle est marquée après-guerre par une querelle entre abstraction lyrique et art figuratif plus traditionnel, ainsi que par l’influence du parti communiste. Pour les jeunes artistes, les espaces d’exposition sont rares. Le Salon des Jeunes Peintres défend une autre peinture figurative, adhérant au réel mais dissociée du réalisme socialiste. En 1953, le groupe de la Ruche2, proche du parti communiste, formé autour de Paul Rebeyrolle, porte la création de l’association Salon de la Jeune Peinture. Ses statuts instaurent le renouvellement régulier du comité et des exposants – chaque artiste exposé peut se présenter à l’élection du prochain comité – ainsi que la volonté, au-delà du seul salon, d’être un lieu de débats et de contribuer à la « défense des intérêts moraux et matériels des jeunes artistes de France ». L’année suivante, reconnaissance officielle, le salon se tient au musée d’art moderne de la Ville de Paris. Une limite d’âge est fixée (35 puis 40 ans, actuellement 45 ans).
À partir de 1964, contre le Nouveau Réalisme jugé soumis aumarché international, la Nouvelle Figuration – Gilles Aillaud, Jacques Monory ou, déjà présents, Bernard Rancillac, HervéTélémaque – s’impose au salon avec, à la tête du comité, des peintres tels Pierre Buraglio, Eduardo Arroyo, Henri Cueco et le critique Michel Troche. Dans un contexte de crise culturelle, le pinceau devient une arme : pour la révolution cubaine et la défense du milieu ouvrier, contre la guerre auVietnam, l’impérialisme américain et la société bourgeoise. Les débats – il y a plus de réunions que d’expositions – sont parfois houleux entre les marxistes, maoïstes ou trotskystes que Jeune Peinture fédère autour d’une pratique politique et collective où le message prime largement sur la forme. Lhistorien GérardMonnier parle d’une « redoutable force de frappe critique dans ces années marquées par les grandes tensions culturelles et poli
tiques qui préparent 19683 ». Il y aura, entre autres, la Salle rouge pour le Viet
nam (1968-69) 4, organisée par Jeune Peinture en faveur du peuple vietnamien, et la forte implication dans l’A’telier populaire des Beaux-Arts durant les événements de 1968. Rien d’étonnant à ce que, dans les années 1960, la production écrite théorique de Jeune Peinture déborde la production plastique. Son premier Bulletin (1965) a tout du manifeste pour un programme d’action par l’art.
Après 1968, les membres de Jeune Peinture apparaissent, pour une grande partie du public et de la critique, comme des « terroristes5 ». Certains d’entre eux, comme Buraglio, quittent l’association. Des clivages politiques et la fermeture pour rénovation, en 1969, du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, où se tenait jusque-là le salon, fragilisent l’association portée par les membres restants – notamment Gérard Fromanger et la coopérative des Malassis, dont Henri Cueco et Jean-Claude Latil. Le salon de 1970 présente surtout des tracts et des slogans politiques. Cette décennie pousse ainsi au bout de leur logique le militantisme et le travail collectif. De nombreux groupes gravitent autour de l’association, comme le Front des artistes plasticiens, le Collectif antifasciste ou le groupe UNTEL. Jeune Peinture poursuit ses actions, avec un groupe ou un autre, en réclamant – en vain – les espaces promis aux plasticiens au sein du futur Centre Pompidou (1977) et une prise en compte des artistes dans la politique culturelle.
C’est pourtant le début d’une perte de visibilité pour l’association. « Après les débats qui mènent à la création en 1977 du Syndicat national des artistes plasticiens (Snap-CGT), s’estompe l’importance historique de la Jeune Peinture, déchirée par les rivalités politiques internes6 », écrit Monnier.
Les années 1980marquent la fin de cette crise identitaire. Sous la présidence de Concha Benedito – première d’une série de femmes qui se succéderont pendant une vingtaine d’années –, une rigueur, perdue dans les années 1960-70, est ramenée dans la sélection des artistes exposés, avec la restauration d’un jury, afin de redonner une crédibilité à Jeune Peinture. Cette décennie est aussi celle de l’arrivée de la gauche au pouvoir, et donc d'une plus grande prise en charge des créateurs par la politique. La seconde moitié des années 1980 est peu renseignée mais, selon les catalogues, l’association expose davantage d'artistes et de collectifs étrangers – le travail collectif reste une constante –, et traverse une autre phase de tensions, avec des salons sans jury, ni limite d’âge, ni renouvellement du comité.
Dans les années 1990, sous la présidence de Katerine Louineau, la nouvelle génération cherche à retrouver exigence et fonctionnement démocratique. L’association s’investit plus clairement dans le soutien aux jeunes artistes, entre autres avec des expositions hors les murs. En 1999, Jeune Peinture se rebaptise Jeune Création, officialisant une diversité des pratiques, sensible dans ses sélections depuis 1990. L’association sollicite aussi davantage la participation de professionnels du milieu, notamment dans le jury, et développe des partenariats institutionnels et marchands.
Ces dernières années, la création de ponts, au-delà des seuls artistes, se confirme. En atteste l’édition annuelle de 2018, en partenariat avec les Beaux-Arts de Paris, qui fête les 50 ans deMai 68. Les nouveaux statuts (2016) définissent Jeune Création comme « collectif artistique international, adogmatique, apolitique ». Signe des temps, l’engagement y est désormais social.