MÉDIATION, ÉDUCATION ET SOLIDARITÉ : UNE POLITIQUE DE LA JEUNE CRÉATION
UNE POLITIQUE DE LA JEUNE CRÉATION
Les nouvelles technologies et les évolutions sociales ont permis un essor de l’individu et de ses désirs, au détriment parfois du vivre-ensemble. La création et l’art n’échappent pas non plus à la marchandisation et au détachement de leurs liens avec l’existence quotidienne. Personne n’est dupe de la croissance d’une bulle artistique où prolifèrent fondations, yachts, muséesmausolées ou parcs d’attraction artistiques. On y observe la reproduction d’anciens systèmes hiérarchiques, financiers, de pouvoir et de reconnaissance. C’est une course folle à la croissance, au plus haut, au plus gros. Tout en dénonçant ce système, certains en jouissent allégrement.
Jeune Création, depuis sa naissance, dix ans avant celle du ministère de la Culture, porte dans son ADN les questions de la place de l’artiste et de l’art dans la société. Les actions de l’association, avec la mise en place d’expositions, mais aussi ses combats politiques, militants et de solidarité, ont toujours fait le lien entre les besoins d’existence et de reconnaissance individuelle de l’artiste ou des collectifs, et des aspirations sociales plus larges dans l’espoir utopique d’un monde plus juste. Dans son organisation associative et démocratique, Jeune Création encourage chacun à s’emparer des outils et des méthodes pour s’autonomiser et se responsabiliser.
Jeune Création, à travers ses 70 ans d’histoire et la diversité des personnalités qui l’ont traversée, s’est emparée de la question du rapport aux regardeurs/visiteurs et des questions de médiation de l’art pour engager des discussions parfois polémiques déplaçant les perceptions et les certitudes. L’association s’engage dans l’éducation en prêtant des oeuvres dans des écoles, en organisant des expositions dans des maisons de retraite, des prisons ou des voyages solidaires sur les routes de France, en Afrique ou en Asie. Si les prises de position politiques sont, pour le moment, plus en retrait, c’est dans l’exemplarité de ses actions et de son fonctionnement que l’association essaye de faire bouger les lignes. Elle laisse libre cours aux initiatives concrètes des artistes et des membres selon leurs savoir-faire, réseaux et centres d’intérêts. De nombreux artistes sont déjà impliqués dans l’éducation en tant que professeurs, médiateurs,
éducateurs ou d’autres métiers leur donnant des prises différentes sur le monde. L’association privilégie la réflexion sur la médiation à l’interne et avec des partenaires comme Art mobile ou des étudiants en histoire de l’art ou en métiers de l’exposition. Nous essayons de trouver un juste milieu entre ceux qui défendent le fait qu’il n’y a pas besoin de médiation, et ceux qui estiment que l’art fait partie d’un tout en relation, nécessaire respect, voire solidarité avec l’autre. Les artistes s’impliquent dans les écoles avec les parcours Éducation artistique et culturelle, par exemple à La Courneuve. Des partenariats ont été établis avec des foyers et des centres de jour de la protection judiciaire de la jeunesse, où des expositions ont été créées avec des adolescents et des artistes, ainsi que des ateliers et des programmes de visites d’expositions en galeries ou en musées. Ces groupes associant adolescents et artistes ont permis de riches échanges sur les questions de l’altérité, de la sexualité, des rapports hommes-femmes, des addictions, des injustices sociales, de la religion et des violences. L’exposition thématique D’un corps à l’autre, conçue par les adolescents avec 56 artistes de tous âges a circulé en Île-de-France et a permis des échanges riches entre artistes, travailleurs sociaux, familles et les jeunes. Christiane Taubira, ministre de la Justice, s’est déplacée pour assister à une de ces actions. Nous avons trouvé chez elle un soutien à l’idée de la création future d’une école originale/musée artistique et solidaire qui serait un écosystème propice aux échanges, à la création et à l’encouragement d’énergies variées pour découvrir les métiers de l’exposition et s’émanciper. Nous y travaillons, mais il n’est pas facile de faire évoluer les administrations et les habitudes capitalistes…
Nous espérons créer la Fondation Jeune Création et avons besoin de soutiens forts. Réunir ce qui est épars dans des utopies positives, au-delà des luttes ouvertes, est un combat de tous les jours. Les actions de médiation, d’éducation et de solidarité que mène Jeune Création associent les bénéficiaires à l’aventure. Notre plateau de production, après l’expérience des Grands Voisins à Paris, a été inauguré par Marco, un artiste qui vit dans la rue, un clochard céleste. Dans cette attention aux SDF, nous n’oublions pas leur quotidien tragique et prenons appui auprès de psychiatres et de travailleurs sociaux pour analyser la portée de nos actes. D’autres engagements simples tiennent compte de l’écologie, en concevant des scénographies réutilisables sur plusieurs années, ou en offrant celles-ci à d’autres organismes. Cela a permis des mutualisations avec des écoles d’art, d’autres associations culturelles ou sociales, qui en ont bénéficié. L’art est un partage, non une compétition. Jeune Création et ses membres ont conscience de ce que l’art doit au collectif et au contexte qui l’a vu naître. Accompagner les artistes dans leur autonomisation et leur volonté de partage en relation avec le monde est un acte politique. Politique dans le sens qu’il engage à plus de responsabilité et de solidarité pour vivre en interaction avec les autres.
Viviane Forester, dans son livre l’Horreur économique (Fayard, 1996), s’interroge : « Faut-il mériter de vivre pour en avoir le droit ? » Jeune Création pourrait se demander : « Faut-il mériter de créer pour en avoir le droit ? Faut-il mériter l’art pour en avoir le droit ? » Il nous semble que l’art peut être un principe actif qui, dans les interstices du quotidien de chacun, peut être une ressource puissante contre la fatalité.