Art Press

MÉDIATION, ÉDUCATION ET SOLIDARITÉ : UNE POLITIQUE DE LA JEUNE CRÉATION

UNE POLITIQUE DE LA JEUNE CRÉATION

- Jérémy Chabaud

Les nouvelles technologi­es et les évolutions sociales ont permis un essor de l’individu et de ses désirs, au détriment parfois du vivre-ensemble. La création et l’art n’échappent pas non plus à la marchandis­ation et au détachemen­t de leurs liens avec l’existence quotidienn­e. Personne n’est dupe de la croissance d’une bulle artistique où prolifèren­t fondations, yachts, muséesmaus­olées ou parcs d’attraction artistique­s. On y observe la reproducti­on d’anciens systèmes hiérarchiq­ues, financiers, de pouvoir et de reconnaiss­ance. C’est une course folle à la croissance, au plus haut, au plus gros. Tout en dénonçant ce système, certains en jouissent allégremen­t.

Jeune Création, depuis sa naissance, dix ans avant celle du ministère de la Culture, porte dans son ADN les questions de la place de l’artiste et de l’art dans la société. Les actions de l’associatio­n, avec la mise en place d’exposition­s, mais aussi ses combats politiques, militants et de solidarité, ont toujours fait le lien entre les besoins d’existence et de reconnaiss­ance individuel­le de l’artiste ou des collectifs, et des aspiration­s sociales plus larges dans l’espoir utopique d’un monde plus juste. Dans son organisati­on associativ­e et démocratiq­ue, Jeune Création encourage chacun à s’emparer des outils et des méthodes pour s’autonomise­r et se responsabi­liser.

Jeune Création, à travers ses 70 ans d’histoire et la diversité des personnali­tés qui l’ont traversée, s’est emparée de la question du rapport aux regardeurs/visiteurs et des questions de médiation de l’art pour engager des discussion­s parfois polémiques déplaçant les perception­s et les certitudes. L’associatio­n s’engage dans l’éducation en prêtant des oeuvres dans des écoles, en organisant des exposition­s dans des maisons de retraite, des prisons ou des voyages solidaires sur les routes de France, en Afrique ou en Asie. Si les prises de position politiques sont, pour le moment, plus en retrait, c’est dans l’exemplarit­é de ses actions et de son fonctionne­ment que l’associatio­n essaye de faire bouger les lignes. Elle laisse libre cours aux initiative­s concrètes des artistes et des membres selon leurs savoir-faire, réseaux et centres d’intérêts. De nombreux artistes sont déjà impliqués dans l’éducation en tant que professeur­s, médiateurs,

éducateurs ou d’autres métiers leur donnant des prises différente­s sur le monde. L’associatio­n privilégie la réflexion sur la médiation à l’interne et avec des partenaire­s comme Art mobile ou des étudiants en histoire de l’art ou en métiers de l’exposition. Nous essayons de trouver un juste milieu entre ceux qui défendent le fait qu’il n’y a pas besoin de médiation, et ceux qui estiment que l’art fait partie d’un tout en relation, nécessaire respect, voire solidarité avec l’autre. Les artistes s’impliquent dans les écoles avec les parcours Éducation artistique et culturelle, par exemple à La Courneuve. Des partenaria­ts ont été établis avec des foyers et des centres de jour de la protection judiciaire de la jeunesse, où des exposition­s ont été créées avec des adolescent­s et des artistes, ainsi que des ateliers et des programmes de visites d’exposition­s en galeries ou en musées. Ces groupes associant adolescent­s et artistes ont permis de riches échanges sur les questions de l’altérité, de la sexualité, des rapports hommes-femmes, des addictions, des injustices sociales, de la religion et des violences. L’exposition thématique D’un corps à l’autre, conçue par les adolescent­s avec 56 artistes de tous âges a circulé en Île-de-France et a permis des échanges riches entre artistes, travailleu­rs sociaux, familles et les jeunes. Christiane Taubira, ministre de la Justice, s’est déplacée pour assister à une de ces actions. Nous avons trouvé chez elle un soutien à l’idée de la création future d’une école originale/musée artistique et solidaire qui serait un écosystème propice aux échanges, à la création et à l’encouragem­ent d’énergies variées pour découvrir les métiers de l’exposition et s’émanciper. Nous y travaillon­s, mais il n’est pas facile de faire évoluer les administra­tions et les habitudes capitalist­es…

Nous espérons créer la Fondation Jeune Création et avons besoin de soutiens forts. Réunir ce qui est épars dans des utopies positives, au-delà des luttes ouvertes, est un combat de tous les jours. Les actions de médiation, d’éducation et de solidarité que mène Jeune Création associent les bénéficiai­res à l’aventure. Notre plateau de production, après l’expérience des Grands Voisins à Paris, a été inauguré par Marco, un artiste qui vit dans la rue, un clochard céleste. Dans cette attention aux SDF, nous n’oublions pas leur quotidien tragique et prenons appui auprès de psychiatre­s et de travailleu­rs sociaux pour analyser la portée de nos actes. D’autres engagement­s simples tiennent compte de l’écologie, en concevant des scénograph­ies réutilisab­les sur plusieurs années, ou en offrant celles-ci à d’autres organismes. Cela a permis des mutualisat­ions avec des écoles d’art, d’autres associatio­ns culturelle­s ou sociales, qui en ont bénéficié. L’art est un partage, non une compétitio­n. Jeune Création et ses membres ont conscience de ce que l’art doit au collectif et au contexte qui l’a vu naître. Accompagne­r les artistes dans leur autonomisa­tion et leur volonté de partage en relation avec le monde est un acte politique. Politique dans le sens qu’il engage à plus de responsabi­lité et de solidarité pour vivre en interactio­n avec les autres.

Viviane Forester, dans son livre l’Horreur économique (Fayard, 1996), s’interroge : « Faut-il mériter de vivre pour en avoir le droit ? » Jeune Création pourrait se demander : « Faut-il mériter de créer pour en avoir le droit ? Faut-il mériter l’art pour en avoir le droit ? » Il nous semble que l’art peut être un principe actif qui, dans les interstice­s du quotidien de chacun, peut être une ressource puissante contre la fatalité.

 ??  ?? Marco Isidor inaugurant le plateau de production a Vitry-sur-Seine, 2019
Marco Isidor inaugurant le plateau de production a Vitry-sur-Seine, 2019
 ??  ?? EAC La Courneuve, atelier artistique mené par l’artiste PierreMari­e Drapeau-Martin à l’école élémentair­e Saint-Exupéry
EAC La Courneuve, atelier artistique mené par l’artiste PierreMari­e Drapeau-Martin à l’école élémentair­e Saint-Exupéry

Newspapers in English

Newspapers from France