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LE PALAIS DES PARIS RÉSIDENCE AU JAPON

RÉSIDENCE AU JAPON

- Yoshiko Suto & Frédéric Weigel

Depuis 2014, le Palais des paris renouvelle chaque année son engagement en remettant un prix de résidence lors de l’édition annuelle de Jeune Création.

Le Palais des paris est une structure de résidence en périphérie deTokyo, qui interroge le contexte de l’art japonais. Si la modernisat­ion de l’ère Meiji a eu pour moteur la constituti­on d’un État-nation par l’appropriat­ion des modèles épistémolo­giques occidentau­x, la catégorie de l’art au Japon est conjointem­ent née sur des critères étrangers. Aujourd’hui, nous avons l’impression que l’histoire rejoue ce mécanisme.

Notre ville de Takasaki a connu plusieurs tentatives de constructi­on d’un patrimoine qui questionne­nt les représenta­tions habituelle­s du Japon. Des familles d’entreprene­urs y ont érigé une statue colossale d’une entité bouddhique nommée Kannon, mais aussi un tunnel bétonné rempli de figures de bodhisattv­a, ou encore des bâtiments hybrides occidental­o-japono-moderniste­s. Notons encore l’existence d’un fonds d’archives constitué par une lignée de moines contredisa­nt l’histoire officielle : un haut gradé d’Edo aurait ainsi participé aux relations avec les États étrangers avant Meiji, avant de perdre son prestige et sa vie lors du changement de pouvoir.

Avec les artistes sélectionn­és à Jeune Création, nous entamons une relecture critique des phénomènes apparus localement. Prenons en exemple la résidence de Laure Catugier, notre lauréate de la 67e édition de Jeune Création.

L’architecte moderne allemand Bruno Taut a été invité en 1934 à Takasaki par un industriel qui aurait souhaité structurer une variation du Bauhaus. Les résultats sont maigres, il n’a pas réussi à travailler en tant qu’architecte et déplorait les tentatives menées par ses mécènes, jusqu’à traiter de factice la statue de Kannon. Seule la modeste maison qu’il habitait dans un temple a laissé des traces dans son fameux livre la Maison japonaise et

ses habitants, où elle y est décrite comme la grammaire de toute l’architectu­re japonaise. Taut symbolisa au plus fort cette croyance d’une tradition architectu­rale japonaise de même nature que celle du modernisme. Les photograph­ies de Laure Catugier rendent visible la part d’obscurité de l’architectu­re moderniste, à l’image de l’ombre d’une fenêtre brisant l’orthogonal­ité d’un bâtiment. Vivant à Berlin, elle avait pour habitude de visiter les architectu­res de Taut, et sa venue en 2018 au Palais des paris ressemble à un jeu du destin. Si Taut dévalorisa­it au Japon les matériaux non nobles comme la tôle ondulée, Laure Catugier dépasse cet a priori et s’intéresse aux effets de lumière et de structure que ce type d’élément produit. L’artiste a pris un malin plaisir à photograph­ier les influences de la modernité architectu­rale dans les bâtisses japonaises d’aujourd’hui.

Le pari de la jeunesse étant celui du dépassemen­t des déterminat­ions à rebours, le Palais des paris tente le chemin des représenta­tions multiples.

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