Julien Battesti
L’Imitation de Bartleby
Gallimard, 128 p., 12 euros
En ces temps de rentrée littéraire, voici un saisissant premier roman dont le projet serait une sortie moins éditoriale que biblique, inspirée du peuple hébreu. Captif, le narrateur de Julien Battesti l’est à plus d’un titre, seul avec son ordinateur depuis que, objet d’une étrange crucifixion horizontale, il se trouve enchaîné au sol par un corps qui semble s’être littéralement replié sur lui-même à la manière d’un suaire, victime de vertèbres qu’il faudrait pouvoir dérouler, telles les bandelettes d’un Lazare 2.0. De cette existence en sommeil va pourtant surgir un réveil paradoxal, crypté à la façon d’une parabole : au fil de péripéties virtuelles, le narrateur découvre en effet l’existence de la féministe Michèle Causse. Tout porte à croire que, si elle fut la traductrice de Bartleby, elle en fit le texte global de sa vie mais interprété à l’envers, justifiant une fin tragiquement absurde, celle d’un suicide assisté, qui plus est filmé. Découverte qui fait se lever le narrateur, lequel, fort d’une interprétation mystique de la vie du célèbre scribe de Herman Melville, fait de Michèle Causse une sorte de double mystérieux qu’il sauve ou dont il achève le sacrifice en dévoilant la nature inaccomplie de son échec, comme si son propre salut était prisonnier du geste insensé et stérile de cette femme. Un tel dispositif n’est pas sans perversité. Mais à quelle autre surprise pourrait désirer s’offrir un écrivain que celui d’être, d’un livre pervers, l’auteur innocent ? Une innocence qui conduira le héros à Zurich où, au coeur d’une mort présentable, « préférant ne pas » sur le modèle de Bartleby, il se retrouve par hasard devant la tombe florissante de James Joyce, au sein d’une véritable contre-réforme horticole, au seuil du paradis, délivré par la divergence luxuriante de la littérature.