Pascal Engel
Les Vices du savoir
Agone, 612 p., 26 euros
L’ouvrage de Pascal Engel effectue la synthèse critique d’un débat qui traverse la philosophie anglo-saxonne depuis la fin du 19e siècle, opposant penseurs évidentialistes, selon lesquels ne sont recevables que les croyances fondées sur des données suffisantes (évidences), et pragmatistes, pour qui il est légitime d’adopter des croyances ou des opinions en fonction de nos préférences ou des circonstances. « Une croyance est correcte ou incorrecte en fonction de la manière dont elle a été acquise et non pas de son contenu », affirme William Clifford (1845-1879), le plus radical théoricien de l’évidentialisme. La possibilité même d’un tel débat soulève des questions difficiles, que l’auteur éclaire avec talent et entrain. Dans quelle mesure la croyance estelle volontaire? Peut-on être tenu pour responsable de ses croyances? Comment continuer de croire à une croyance dont on sait qu’il s’agit d’une croyance? À l’époque de leur formulation, ces interrogations s’inscrivaient dans le cadre d’un débat quant à la légitimité de la croyance religieuse ; Engel en déduit cependant quelques axes valables pour toute forme d’assertion, dont il résulte que les croyances fondées sur la simple expression d’un sentiment personnel sont légitimes, à condition de ne pas se situer sur le terrain de l’évidence. Dans la tradition de la philosophie analytique, il fonde ainsi une éthique propre à la vie intellectuelle, avec les vertus et les vices qui lui sont attachés. C’est sur ce dernier terrain que s’attarde, non sans férocité, la seconde moitié du livre, en un catalogue raisonné allant de la bêtise à l’impertinence en passant par la propension au bullshit. Née d’une hostilité à la French theory de sa jeunesse, la démarche de Pascal Engel trouve, au temps des fake news, une nouvelle urgence.