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METTRE EN SCÈNE LA RÉVOLUTION

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pas loin de cinquante ans, ayant eu beau répéter : « Elle est meilleure cinéaste que moi » – propos d’homme épris, propos hypocrite, s’est-on empressé d’interpréte­r. « Meilleure », ça ne veut pas dire grand-chose en art, mais revoir d’un coup l’oeuvre bref de Miéville le confirme : elle n’a pas à être comparée à Godard, ni en bien ni en mal. Elle est une grande cinéaste. rable performanc­e de l’acteur Godard disant Hannah Arendt), discours… Qui dit cinéma de la parole dit cinéma de visages : autant dire qu’on est d’emblée au coeur même du cinématogr­aphique, le visage humain étant, de tous ses objets, celui que le cinéma a le plus chéri. L’art de Miéville est de les montrer, non pour leur beauté ni leur glamour, mais pour leur capacité à performer: émettre du langage, manifester des sentiments (Dieu sait, chez elle, radicaux), chanter (sublime air de la Reine de la Nuit dans Mon cher sujet). Au fond, oui, c’est cela : un cinéma du chant, où tout, même la conversati­on, prend le rythme et l’allure d’une chanson, quand ce n’est pas d’un opéra. Les sentiments sont là, les sensations sont là, mais à distance, sous le voile de ce chant qui n’en finit pas. Quelle belle idée du cinéma !

Un choix de films du collectif Abounaddar­a était présenté dans le cadre du riche et bouillonna­nt festival HorsPistes du Centre Pompidou. Ce collectif s’est voué, de 2011 à 2017, à produire un film chaque vendredi, consacré à la révolution syrienne. Cela paraît simple, mais quiconque a eu la curiosité de voir quelques-unes de ces pièces brèves aura été saisi par leur variété, leur densité, leur précision, leur inventivit­é, leur sens de l’image, et – non pas « par ailleurs » mais par-là même – leur justesse politique. Au reste, l’entreprise a eu pour déclencheu­r, de l’aveu de ses auteurs, la ruée des médias occidentau­x, en 2011, sur une imagerie de cadavres et de misère qui reprenait les pires clichés de la tradition orientalis­te : des images éventuelle­ment touchantes, mais selon des sentiments formatés. Aussi leurs films sont-ils calculés pour ne jamais susciter de vague sentimenta­lité. Pour ne pas reproduire cette imagerie et en constituer une autre. Parfois, cela flirte avec l’excès de singularit­é, des entretiens avec des inconnus qui ne représente­nt qu’eux-mêmes (mais se représente­nt vraiment). D’autres fois, ce sera un micro-événement de la guerre civile : une femme cueille des figues, elle voit qu’un missile vient de tomber pas loi ; des jeunes gens, au contraire, lancent des missiles, sur Alep peutêtre. Comme l’a répété l’un des membres du groupe lors d’une des deux soirées au Centre Pompidou (1), pour voir la révolution en cinéaste, il faut la mettre en scène: elle n’est pas là, donnée, prête à être filmée. Même les entretiens, semblant si spontanés, ont été mûrement réfléchis en termes de cadrage, de durée, de montage. L’idée, simple mais radicale, pour éviter les clichés, est de « défamiliar­iser » ce qui est montré, au risque, assumé, de ne pas être compris par qui a pris l’habitude du vocabulair­e banalisé des médias. Montrer la révolution, voir la révolution : cette déclinaiso­n mène à penser à Dziga Vertov, qui se posait des problèmes analogues, et lui aussi exigeait du spectateur qu’il accepte de ne pas voir ce qu’il sait déjà, mais quelque chose de déroutant (dans la Dame de Syrie, une femme apprend

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