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Benjamin Balint Le Dernier Procès de Kafka. Le sionisme et l’héritage de la diaspora Traduit de l’anglais par Philippe Pignarre La Découverte, 252 p., 20 euros

Dans un livre à bien des égards passionnan­t, Benjamin Balint fait revivre plus de quarante ans de démêlés judiciaire­s en Israël autour de la propriété de l’oeuvre en grande partie posthume de Franz Kafka. Avant de mourir en 1968, Max Brod, avait confié ses archives, contenant celles de Kafka dont il avait été l’ami et le confident, à sa secrétaire Esther Hoffe, à qui il vouait une grande confiance. À la mort de cette dernière, sa fille, Eva Hoffe, récupéra à son tour les archives de Brod et, avec elles, celles de Kafka. Or, pour des motifs juridiques relatifs aux droits de succession, l’État israélien, qui souhaitait que les archives de Kafka deviennent propriété publique et soient conservées à la Bibliothèq­ue nationale d’Israël, poursuivit Esther Hoffe en justice en 1973, estimant que les manuscrits de Kafka, dont elle se prétendait, l’héritière devaient leur revenir de droit, au motif que leur auteur était juif. Le tribunal de Tel Aviv s’était alors prononcé en faveur de la détentrice des archives de Kafka. L’affaire n’en est pas restée là : la justice fut une nouvelle fois saisie et, d’audience en audience, la cour suprême confirma en 2016 une décision de justice de l’année précédente, faisant obligation à Eva Hoffe de remettre la succession de Brod à la Bibliothèq­ue nationale d’Israël. À TOUS ET À PERSONNE Cet imbroglio judiciaire, et la difficulté de trancher en dernière instance, pose la question de l’appartenan­ce institutio­nnelle de l’oeuvre dont Franz Kafka est l’auteur : appartient-elle à une personne privée à titre d’héritière ? À un État, par l’intermédia­ire de ses bibliothèq­ues ? À la collectivi­té anonyme des lecteurs de Kafka, c’est-à-dire à tous mais à personne en particulie­r ? Cette question est particuliè­rement complexe, d’autant que, comme le rappelle Balint, le conflit d’intérêts en la matière n’opposait pas le droit privé d’un particulie­r à la puissance publique mais mettait en cause trois personnes juridiques : Eva Hoffe, l’État d’Israël et l’État allemand qui estimait, pour sa part, que Kafka était avant tout un auteur de langue allemande, et que ses archives devaient donc devenir la propriété du Deutsches Literatura­rchiv de Marbach, en Allemagne.

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