Henry James
Robert Laffont, 992 p., 32 euros
Cruel hasard éditorial qui donne à lire ces magnifiques Voyages d’une vie d’Henry James et la part du lion taillée à une Italie étincelante, alors que cette dernière se retrouve figée, paralysée, meurtrie dans son identité baroque. Plus proche de Stendhal que de Flaubert − l’inventeur du confinement littéraire ! −, James, en 1909, nous chante sa « joie tempérée » devant le spectacle de « la bienheureuse péninsule » ; son plaisir face à « son décor d’opéra le plus fou » ; son extase face à cette succession « d’incidents de l’atmosphère ». En 1869, Rome n’avait-elle pas inspiré au jeune James ce cri du corps : « Enfin, cette fois-ci, je vis ! » Ce titre choisi par l’auteur, « Heures italiennes », évoque ceux des manuels de dévotion de la fin du Moyen Âge, ornés d’enluminures. Enluminée… telle est la joie de James, celle d’un Américain en quelque sorte naturalisé par l’art. Mais c’est une tout autre réaction que provoquent en lui son retour au pays natal et un séjour à New York. Bien avant Paul Morand ou Céline, James découvre non sans stupéfaction « la ville debout ». Cette nouvelle civilisation d’un « provisoire coûteux » lui inspire l’exaltante inquiétude qui nourrira un de ses grands romans, la Coupe d’or, à travers le portrait d’un milliardaire parcourant l’Europe pour acheter et rapatrier les chefs-d’oeuvre de l’art classique. Mais si « ces gratte-ciels, vus de l’eau, se hérissent comme des aiguilles extravagantes plantées dans un coussin déjà surchargé », c’est-à-dire méritent un éloge littéraire, que dire de cette ville que ne couronne plus l’histoire, de ces tours qui ont quelque chose de « muet », de cette architecture qui ne « souffle jamais qu’une passion intéressée », de cette métropole destinée à s’imposer comme « le dernier mot de l’ingéniosité économique » ?
Thomas A. Ravier