Eugène Green
Éditions du Rocher, 192 p., 18,90 euros
Il faut du culot pour donner ce titre apparemment anachronique, Moines et chevaliers. Mais de culot, Eugène Green n’en a jamais manqué au long de sa carrière théâtrale et cinématographique, poursuivant passionnément son exploration du baroque authentique ( avec sa compagnie le Théâtre de la sapience). Il y a une continuité entre Green réalisateur et Green écrivain, si bien qu’en entrant dans ce précieux petit roman, publié aux éditions du Rocher, l’on retrouve des figures familières (qui rappellent la Sapienza, Italie oblige). Sans doute parce que Green mène, dans son oeuvre, une réflexion ininterrompue sur l’importance de la vie intérieure. Déambulant dans les rues de Turin, d’un palais à un studio ou à une usine désaffectée, les héros de Moines et chevaliers s’interrogent sur le sens de l’engagement et sur la possibilité d’un destin individuel, avec une insistance qui fait du bien. Ici, on parle de foi, de meurtre, de poésie, de chasteté et d’amour sans fausse pudeur, tout en commandant une grappa. Deux personnages polarisent le récit par leur intensité : Norberto, fils de bourgeois, perpétuellement en colère, qui réinvente les Brigades rouges ; Virgilio, lumineux étudiant qui affiche sa foi catholique et prétend, par semi-boutade, se sentir comme les moines d’autrefois. Deux intrigues se croisent : l’enlèvement d’un banquier altruiste et la recherche du géant qui aurait assassiné rituellement une petite fille. Green ne se penche pas sur un monde disparu ou improbable : il désamorce le piège de la nostalgie en démontrant que le besoin d’aimer fonde le vrai progrès ; d’où l’ultime vers du Paradis de Dante, qui résonne dans les toutes dernières pages du roman: l’amor che move il sole e l’altre stelle (« l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles »).
Élisabeth Viain