Clémence de Montgolfier Quand l’art contemporain passe à la télévision Hermann, 295 p., 23 euros
La chercheuse Clémence de Montgolfier fait l’histoire du traitement télévisuel de l’art contemporain en France.
En lisant le titre Quand l’art contemporain passe à la télévision, le premier réflexe est de se demander s’il s’agit vraiment d’un sujet, tant cela semble une rareté. Clémence de Montgolfier démontre qu’on aurait tort de s’en désintéresser. Dans cet ouvrage tiré de sa thèse en sciences de l’information et de la communication, primée en 2018 par l’Inathèque, l’auteure part d’une approche chronologique, depuis 1959, pour en arriver à une lecture critique de l’audiovisuel – au prix de quelques répétitions. Outre le caractère inédit en France de cette analyse des émissions de télévision portant sur l’art contemporain, son intérêt est d’allier évolution technique et politiques culturelles, convoquant histoire des médias, sociologie et histoire de l’art. L’ouvrage s’inscrit ainsi dans le champ de recherches qui, depuis peu, se penche sur les relations, plus ou moins tendues, entre arts et industries créatives, ces nouveaux intermédiaires culturels.
PROMOTION CULTURELLE Les années 1960-70 sont celles du premier ministère des Affaires culturelles, confié à André Malraux, et des débuts de la télévision en France, d’abord entièrement publique, avec peu de chaînes et la mission d’« informer, cultiver et divertir ». Les programmes culturels, souvent portés par des personnalités du milieu (Adam Saulnier, Max-Pol Fouchet), perçus comme moyen de diffuser la création auprès de publics « éloignés », occupent, dans leur ensemble, 22% des grilles en 1973. Lorsqu’il s’agit d’art contemporain, la culture (savante) s’y veut universelle et le discours de l’artiste ainsi que l’image, parfois expérimentale, de ses oeuvres dominent. À partir de l’éclatement de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) en 1974, qui crée une concurrence entre les chaînes – la vente de publicités nécessite de l’audience–, ces émissions ne cesseront de diminuer, tendant vers une promotion de l’actualité culturelle plutôt que la pédagogie. Dans les années 1980, le secteur audiovisuel se libéralise, instaurant une rivalité entre chaînes publiques et privées. Avec l’arrivée de Jack Lang au ministère de la Culture en 1981, l’heure est également au « tout culturel » et à sa démocratisation, politique qui, face aux inégalités persistantes, montre ses limites dès le début des années 1990. On parle aussi de « polémique » de l’art contemporain, imposture pour certains. Les émissions témoignent de ces conflits, entre autres dans les débats sur plateau, apparus dans les années 1970, où les experts invités se disputent à l’occasion, comme Catherine Millet et Jean Clair dans « le Cercle de minuit » sur France 2 en 1997. La TNT, lancée en 2005, modifie les habitudes de visionnage: replay, diffusion sur Internet et nouvelles plateformes (Netflix, Amazon ou CultureBox de France Télévisions). La majorité des programmes, ponctuels et élogieux, se calquent sur un événement, tel Documenta sur Arte. Certains s’essaient au format concours avec la télé-réalité («Tous pour l’art ! », Arte, 2012) ou au commissariat d’exposition (« l’Exposition impossible », France 2, 2004-06).
DES HISTOIRES Sans surprise, la télévision est un miroir où s’affichent surtout artistes vedettes, grandes institutions et marché de l’art, qui se trouvent ainsi (sur)légitimés. Les paradoxes reflétés sont plus étonnants. La représentation télévisée des artistes suit par exemple trois stéréotypes: le « romantique » côtoie le « subversif », rejoints plus tard par l’« entrepreneur » dans son atelier aux nombreux employés. Certaines étiquettes, parfois héritées de l’Antiquité, persistent, tel l’artiste prédestiné depuis l’enfance et forcément singulier – ou l’originalité faite norme à laquelle se conformer. La télévision nous raconte ainsi des histoires et crée des « mythes » où va de soi une certaine image, attendue et familière, de l’art contemporain, simplifié pour être mieux appréhendé et devenir un « label » de qualité validant ce qui est à l’écran – et valorisant les chaînes. S’y ajoute, alors qu’il n’existe aucun lien direct entre la programmation des chaînes publiques et l’État, un « récit humaniste » portant des valeurs défendues par les politiques culturelles : « promesse » de démocratisation, au sein de logiques de promotion qui sacralisent une élite, auprès d’un « grand public » qui aurait tort de ne pas aimer l’art contemporain. Pour Montgolfier, ces contradictions pourraient expliquer l’échec de la télévision. Ce constat fait écho à la remise en question des politiques publiques aujourd’hui. On pense aux rapports Racine et Bergé récemment remis au gouvernement. Missions du ministère et émissions sont à réinventer. « Une critique d’art télévisée est-elle possible? » Les musées, qui ont leurs propres services audiovisuels depuis les années 1980, et les artistes, qui s’emparent d’Internet et des réseaux sociaux – leur usage de la télévision n’est hélas que survolé –, n’ont pas attendu les médias pour se saisir du numérique. Avec moins de clichés et plus de créativité, la télévision et les services de streaming pourraient receler un potentiel de médiation encore inexploré.
Aurélie Cavanna