Markus Lüpertz
L’Atelier contemporain, 608 p., 30 euros
Dans sa longue préface à ce recueil réunissant discours, essais et poèmes écrits entre 1961 et 2019 (soit près de soixante ans de réflexions), Éric Darragon, spécialiste de l’art allemand d’après-guerre, évoque l’importance de la complexité artistique pour Markus Lüpertz et annonce que ce dernier est un « peintre qui écrit pour dire que l’art n’est pas une réponse mais une interrogation faite de doute, de gaieté, de peur, d’enthousiasme ». Ils sont souvent obscurs et violents (les poèmes notamment), mais c’est un véritable plaisir de parcourir ces textes. Certaines lignes sont prophétiques (c’est ce qu’on appelait jadis « l’avant-garde »). Dans « Sur la nocivité des mots d’ordre sociaux dans les beaux-arts » (1981), Lüpertz écrit que « l’art va son chemin sans vergogne, porté par un petit nombre d’individus, semblable à un échafaudage qui s’intègre à la masse, se stabilise, se déploie et continue de croître ». Le peintre écrit aussi sur l’art ancien qui l’a intensément nourri. Il consacre par exemple un beau poème, très intime, à Nicolas Poussin (1991) et à la Rome du 17e siècle. Et, dans le discours de Nimègue (1991 aussi), il souligne encore les travers contemporains : « Le rire reste la plus grande provocation qui soit. Y compris en art. On admet l’ironie. L’humour, à la rigueur. On encourage la caricature. Mais on exècre la gaieté. Ceci est une affirmation. » Après la formidable rétrospective consacrée au peintre il y a cinq ans par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, c’est là un recueil essentiel pour s’enfoncer un peu plus dans le continent Lüpertz et mieux comprendre son rapport à l’antique, à l’époque. En croisant, au passage, Pablo Picasso, Eduardo Chillida, Edward Munch ou Paul Klee.
Richard Leydier