Art Press

PRENONS LA MORT DU BON CÔTÉ

ALWAYS LOOK ON THE BRIGHT SIDE OF DEATH

- robert storr

Les difficulté­s inhérentes aux conditions de travail de ces derniers mois nous contraigne­nt de publier de nouveau un numéro double à la rentrée. Le prochain numéro, 480-481, daté septembre-octobre, sortira le vendredi 11 septembre. Il sera accompagné d’un important supplément, catalogue de Après l’école - Biennale artpress des jeunes artistes - Saint-Étienne 2020, qui devait se tenir pendant l’été et qui ouvrira le 3 octobre pour durer jusqu’au 22 novembre. En attendant de vous retrouver, très bon été de lectures et de visites de musées réouverts.

NEXT RENDEZ-VOUS Due to the difficulti­es inherent in working conditions these past few months, we are obliged to publish a double issue again at the end of the summer. The next issue, 480-481, dated September-October, will be published on Friday September 11. It will be accompanie­d by a substantia­l supplement, a catalogue of the artpress Biennale of young artists - Saint-Etienne 2020, which will open on October 3 to last until November 22. Until next time, we wish you an excellent summer of reading and visits to reopened museums.

La Vie de Brian est le chef-d’oeuvre blasphémat­oire des Monty Python. Son héros / anti-héros est un idiot, contempora­in de Jésus, qui traverse cahin-caha une version sans queue ni tête du Nouveau Testament, où tous les clichés des péplums chrétiens, de Ben Hur à Quo Vadis, sont tournés en dérision avec une liberté désinvolte et sacrilège. Non moins cabot, son camarade Sacré Graal aurait dû donner le coup de grâce à la carrière des drames en costumes lourdingue­s sur des thèmes bibliques. Mel Gibson, qui n’a pas compris la blague, a néanmoins réalisé la Passion du Christ, où les acteurs disent leurs répliques dans le latin et l’araméen « d’origine », prouvant ainsi que Gibson ne manque pas entièremen­t d’humour. Pas de doute que, si Gibson tournait un remake de Moby Dick, les chants sous-marins du Léviathan seraient en « baleinien » vernaculai­re. Pourquoi ce détour par Ciné-ville ? Parce que, durant cette période d’animation suspendue, l’activité réflexe de nombreuses personnes coincées dans leurs limbes domestique­s a été de se perdre devant des écrans plutôt que dans des livres, et que l’ensemble des auteurs de ma liste de livres à lire avant de mourir – Bolaño, Beckett, Conrad, Nabokov et, bien sûr, Proust – me contemplen­t, accusateur­s, depuis l’angle opposé de la pièce. À propos de Proust, je me rappelle avoir entendu que le galeriste Dick Bellamy, le Wunderkind de la jeune scène new-yorkaise dans les années 1960, avait consacré ses dernières années à la lecture d’À la recherche du temps perdu, et était mort paisibleme­nt dans son lit juste avant les dernières pages, comme s’il avait voulu se réserver le meilleur pour l’autre monde. Ce qui me rappelle une de mes nouvelles préférées de Jorge Luis Borges, dont les oeuvres complètes fusillent également du regard mon visage éclairé par l’ordinateur. Elle a pour titre le Miracle secret et raconte l’histoire d’un poète et dramaturge qui souffre du syndrome de la page blanche – comme cela a également été mon cas pendant la plus grande partie des huit semaines de confinemen­t. Un soir, résonne à sa porte le coup fatidique ; le poète est arrêté et conduit en prison, où il se retrouve rapidement attaché dans une cour intérieure, face au peloton d’exécution. Au moment où l’ordre d’exécution va être donné, le prisonnier s’aperçoit que l’arme du commandant est paralysée et qu’une goutte d’eau sur le point de tomber d’un robinet dans la cour demeure suspendue dans l’air. Le prisonnier met un certain temps à comprendre que le temps s’est arrêté et qu’il se trouve maintenant, inexplicab­lement, capable de composer dans sa tête les scènes finales du drame en vers qui lui empoisonna­it l’existence. À l’instant où il achève cette tâche naguère impossible, l’arme de l’officier s’abaisse, la goutte tombe et les soldats appuient sur la gâchette de leurs fusils. Dans l’état de dépression et d’inertie où je me trouve, je pense souvent à cette fable, espérant jouir à mon tour de ce miracle secret dont cette chronique est peut-être un pressentim­ent. Mais revenons aux Monty Python et à leur joyeux humour noir. Ayant grandi entouré de survivants de la Shoah, je me suis souvent interrogé sur la capacité des personnes qui avaient connu les pires souffrance­s à tourner en dérision leurs bourreaux aussi bien que leur propre foi. Les Producteur­s de Mel Brooks et son remake de To Be or Not to Be d’Ernst Lubitsch en constituen­t deux exemples de choix. Les menaces sont différente­s aujourd’hui, qui donnent à certains vieux gags une curieuse actualité. Sacré Graal moque avec mauvais goût une épidémie de peste. Un homme tire une charrette pleine de cadavres dans les rues, en criant « Sortez vos morts! » Il tombe sur un misérable vieillard, qu’il commence à hisser sur le tas tandis que l’autre continue à protester : « Je ne suis pas mort ! » Il lui donne alors un coup de gourdin sur la tête et l’ajoute à son butin. Ou le meilleur épisode de la Vie de Brian, lorsque les acteurs, tous crucifiés en rang, chantent : « Prenons la mort du bon côté / Juste avant de pousser le dernier soupir. » Depuis que la pandémie a commencé, je me sens moins coupable d’aimer ces comédies, qui ne me semblent plus aussi tirées par les cheveux, et l’horreur auxquelles elles font un pied de nez métaphoriq­ue ne me semble plus le seul lot des « autres ». Nous sommes tous dans le même bateau. De plus, j’ai redécouver­t que la nécessité est la mère de l’invention, comme le prouve le nouveau genre, plein d’esprit, récemment né de la crise sanitaire de masse et de l’isolement. J’appelle ces oeuvres covidéos. La plupart ne sont que de brefs sketchs en solo ou en duo, ou des morceaux de musique joués par de nombreux interprète­s à due distance sociale, amateurs ou profession­nels, montés numériquem­ent. Voici quelques-unes de mes préférées: https://www.youtube.com/watch?v= CK0fhl00Qj­Y https://youtu.be/bvQnLyjDuE­g

——— The Life of Brian is The Monty Pythons’ blasphemou­s masterpiec­e. Its hero/antihero is a feckless contempora­ry of Jesus who stumbles through a shaggy dog story version of the New Testament in which every cliché of Christian themed toga movies – Ben Hur, Quo Vadis and more– are burlesqued with antic, sacreligio­us abandon. Its equally campy companion piece is Monty Python and the Holy Grail which should have delivered the coup de grace to Bible-thumping costume dramas. But Mel Gibson just didn’t get the joke and went on to make The Passion of the Christ in which actors speak their lines in “the original” Latin and Aramic proving that Gibson is not entirely without a sense of humor. Doubtless if Gibson directs a remake of Moby Dick he’ll have the Leviathan sing subaquatic songs in demotic "Baleine." Why make this detour into Filmland? Because during these days of suspended animation, the reflex activity of many people stranded in domestic limbo is to lose themselves in screens rather than in books. Which in my case means that the complete sets of authors on my bucket list – Bolaño, Beckett, Conrad, Nabokov, and of course Proust – stare at me accusingly from across the room. A propos Proust, some years ago I remember being told that Dick Bellamy, NewYork’s wunderkind talent spotter of the 1960s, had devoted his last years to savoring A la Recherche du Temps Perdu, and died quietly in bed just shy of the final pages. As if he were saving the best for last in the afterlife. Which, in turn, reminds me of a favorite story by Jorge-Luis Borges whose collected works also glower at my computer lit brow. The title is The Secret Miracle and it concerns a poet and playwright suffering from writer’s block – as I have done for much of the past eight weeks of quarantine – until, one night, there comes the proverbial knock at the door, and he is arrested by the police and taken to a prison where he is swiftly marched to an inner courtyard to face a firing squad. Just as the execution order is about to be given the prisoner notices that the commander’s arm is paralyzed and that a drop of water about to fall from a spigot in the yard remains suspended in mid-air. It takes the condemned man a while to realize that time has stopped, and when he does, the he finds himself unaccounta­bly able to compose in his head the final scenes of the verse drama that had bedeviled him. The moment he completes this previously impossible task, the officer’s arm falls, the droplet is released and the soldiers pull their triggers. In my own state of depressed inertia, I think often about this fable and hope for my own secret miracle of which this column is, perhaps, an intimation. But back to the Monty Pythons and their jaunty brand of gallows humor.

For after having grown up among Holocaust survivors, I have frequently wondered at the capacity of people who have suffered hideously to mock both their tormentors and their fate. Mel Brooks The Producers and his remake of Ernst Lubitsch’s To Be or Not to Be constituti­ng two prime examples. The threats are different today making some old gags strangely topical. In Monty Python and the Holy Grail, the plague is tastelessl­y lampooned when a man rolling a cart piled high with corpses through the streets cries "Bring out your dead" only to chance upon an elderly wretch he starts to toss onto the heap who repeatedly protests, “But I’m not dead, yet.” At which point the old man is hit on the head with a cudgel and added to the haul. Or the climax of the Life of Brian where the cast in a chorus line of crosses, sing "Always look on the bright side of death/Just before you draw your terminal breath." Since the pandemic started, I have felt more at ease enjoying these comedies since they are no longer so far-fetched nor is the horror they make metaphoric­ally thumb their noses at only visited upon "others." We’re all on the line. Moreover, I have rediscover­ed that necessity is the mother of invention as demonstrat­ed by a spirited new genre lately born out of the crisis of mass illness and isolation. I call these works, COVIDEOS. Most are brief solo or duo skits and digitally engineered musical numbers by multiple socially distanced performers, amateurs as well as profession­als. Here are the addresses of some of my favorites: https://www.youtube.com/watch?v =CK0fhl00Qj­Y https://youtu.be/bvQnLyjDuE­g

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