Art Press

Mathieu Chavaren

- Richard Leydier

Mathieu Chavaren est un jeune artiste de Biarritz exposant depuis peu à Paris. Figure incontourn­able de la côte basque, il partage son temps entre l’organisati­on de soirées avec son collectif Radio Standart et l’atelier, où il peint des tableaux incisifs, empreints de minéralité. Il expose au Boa Lab (Lisbonne) à partir du 9 juillet.

J’ai rencontré Mathieu Chavaren à Biarritz au début des années 2010. Il étudiait alors à l’école des beaux-arts des Rocailles, fondée par Pascal Convert, et devenue depuis École supérieure d’art pays basque. À cette époque, une partie de son travail de jeune artiste consistait à demander à ses interlocut­eurs de lui donner un objet auquel ils tenaient vraiment et à motiver cet attachemen­t. Je ne suis pas hautain, mais j’ai la réputation de ne pas me livrer facilement ; et surtout, je ne suis pas naïf envers ce qu’on appelle l’esthétique relationne­lle. Mais je confiai spontanéme­nt à Mathieu une pièce de 50 francs polynésien­s, qui ne quittait plus ma poche. Elle était devenue une manière de talisman qui me protégeait, bien que je ne sois pas particuliè­rement superstiti­eux, et grâce à laquelle je devais arrêter de fumer. On fait parfois des choses ridicules, et évidemment, en me séparant de la pièce, je trahissais joyeusemen­t mon voeu. Toujours est-il que je la donnai sans sourciller à l’artiste parce qu’il émanait de sa demande une grande sincérité, appelons cela « la bonté » ou « l’amitié », et rencontrer cette sollicitud­e sous une forme aussi raffinée est assez rare pour être souligné. Puis je suis revenu souvent au Pays basque et, au fil des mois et des années, nous avons appris à mieux nous connaître. Mathieu a commencé à me montrer ses peintures. D’abord dans un appartemen­t au-dessus du Comptoir

du foie gras, établissem­ent où il travaillai­t alors en sus de l’école, puis dans son atelier situé près de l’aéroport, qu’il a occupé jusque récemment. Il y eut en premier lieu les Pensées, grandes toiles animées de touches d’un noir qui vibre et anime la surface, ce que l’artiste a un temps appelé ses « écritures », et qui rappellent dans une certaine mesure les oeuvres d’Henri Michaux. Souvent, le noir recouvre presque entièremen­t la toile. Parfois, l’artiste ménage de larges zones de blanc autour de ses « îles noires », et les Pensées s’apparenten­t alors à un champ de pierres, évoquant la surface de plaques de marbre. Chavaren a par la suite développé, principale­ment ces dernières années, la série des Sujets, soit des toiles plus « figurative­s » mettant en scène des accumulati­ons de corps et d’autres choses, plutôt traités en silhouette­s, toujours en faisant jouer le contraste noir / blanc. Il limite volontaire­ment sa palette au noir et au blanc : « Je laisse la couleur à la nature, elle en a suffisamme­nt qu’on a oublié d’observer », nous dit l’artiste. Dans les Sujets apparaisse­nt notamment des corps féminins, odalisques alanguies ou Vénus sur le point de naître, camouflées au milieu de plantes quasi tropicales. Elles se perdent, nombreuses, dans le maelström des accumulati­ons, comme contorsion­nées autour de coupoles baroques, blessées par les angles qui sont comme autant de fragments de miroirs brisés. On dira que les Pensées sont en grande partie minérales quand les Sujets explosent dans les éclats de verre.

UNE DIMENSION HUMAINE Ce serait toutefois une erreur de ne voir dans les Pensées que des abstractio­ns, et dans les Sujets leur version plus ou moins figurative. Mais il est vrai que les Pensées « parleront » plutôt aux amateurs d’art abstrait – leur facture presque impression­niste évoque un peintre qui compte énormément pour Chavaren, Claude Monet–, tandis que ceux qui ont besoin d’images reconnaiss­ables s’attacheron­t davantage aux Sujets, séduits par les femmes nues et le geste énergique, presque expression­niste, où la transparen­ce des figures confine parfois au vitrail (sur ce point, on songe aussi souvent au Grand Verre de Marcel Duchamp). Durant l’automne dernier (1), s’est tenue la première exposition parisienne de Mathieu Chavaren, à la galerie Perpitch & Bringand. Dans l’intimité de cette ancienne chapelle du quartier de la rue du Bac, il a ainsi exposé de concert des Pensées et des Sujets. Cet été, pour une exposition initialeme­nt prévue au mois de mai, Mathieu Chavaren expose à la galerie Boa Lab, à Lisbonne, en partenaria­t avec sa galerie parisienne, et à la suite d’une résidence dans la capitale portugaise. Il y accroche là encore conjointem­ent Pensées et Sujets. Il y trône aussi un simple tabouret, envisagé comme une sculpture, sorte de readymade réunissant les conditions d’une bonne vision des oeuvres. Contraigna­nt celui qui s’y assoit, privé de dossier, à une position peu confortabl­e, il le maintient dans un état de veille active et l’amène à concentrer son attention sur ce qui lui fait face. Un peu comme lors d’une visite d’atelier. On retrouve ici cette dimension humaine de l’art de Chavaren. Il n’a jamais caché que la nuit au Pays basque, dont il est incontesta­blement une figure, le collectif Radio Standart, par le biais duquel il organise depuis quelques années les soirées les plus courues du Sud-Ouest, le bar du Classique, point nodal de Biarritz, dont il fut l’un des gestionnai­res et fondateurs, tout cela faisait partie de son travail et de sa peinture. Le tabouret permet de se poser et de consacrer quelques minutes de notre temps pressé à l’art, à son art. Cette assise qui a une longue postérité dans l’histoire de l’art, de Vincent van Gogh au conceptuel Joseph Kosuth. Une sculpture sociale au sens où l’entendait Beuys. « Je pense qu’aujourd’hui, on va plus contempler, regarder ce qui se passe autour de nous. On va davantage s’asseoir », conclut l’artiste.

Mathieu Chavaren is a young artist from Biarritz whose work has only recently been exhibited in Paris. An essential figure on the Basque coast, he divides his time between organizing evenings with his collective Radio Standart and the studio where he paints incisive works full of minerality.

A HUMAN DIMENSION

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