Art Press

Et puis zut Never Mind

- Catherine Millet Catherine Millet Translatio­n: Raphaël Koenig

Nos impératifs de fabricatio­n imposent d’écrire l’éditorial de ce numéro de rentrée à la fin du mois de juillet, c’est-à-dire en pleine expectativ­e, car seul le dieu Covid-19 décidera de ce qu’il en sera. Même les marchands d’art les plus optimistes ne se prononcent pas sur la « reprise » de la rentrée. La Fiac, Paris Photo auront-elles lieu ? Dans les musées, va-t-on installer des trottoirs roulants semblables à ceux de la station de métro Montparnas­se, pour définitive­ment garantir un circuit obligatoir­e de la visite ? J’en étais là de mes réflexions quand mon oeil s’est posé sur la mise en page en cours de l’article d’Erik Verhagen, à lire plus loin, sur Martin Barré. Alors je me suis dit : « Et puis zut, c’est ça qui est important. » Dans le monde de l’art en extension, nous sommes une poignée à le considérer comme l’un des très grands peintres du 20e siècle, mort en 1993, qui attendions depuis de longues années que le Musée national d’art moderne lui rende enfin hommage. Oh pas spectacula­ire son oeuvre, ni scandaleus­e ! Rien de tonitruant qui puisse se faire entendre dans la cacophonie ambiante. Et l’homme était discret, tranquille, délicieuse­ment sociable, mais pas mondain, ne faisant rien qui puisse le conduire à un quelconque statut de peintre officiel, réalisant simplement une des oeuvres les plus singulière­s qui soient, une des plus déliées, et je sais ce que j’écris en choisissan­t ce qualificat­if. D’abord, Barré a été un très bon peintre abstrait sur la scène parisienne des années 1950 et il aurait pu continuer dans cette voie, faire une carrière à la Hartung ou à la Soulages. Mais tout à coup, il s’est arraché à ce contexte. Il a accompli un geste qui larguait les amarres, puis des gestes qui n’avaient plus rien à voir avec la peinture gestuelle. Comprenez qu’il n’est pas facile pour nous, pauvres critiques, d’expliquer son « minimalism­e » (si l’on veut) qui n’est jamais ni systématiq­ue, ni sec; ses carrés qui ne sont jamais vraiment des carrés et ses blancs qui sont rarement blancs ; ses lignes droites… un peu tremblées ; ses formats toujours modestes quand ses confrères surenchéri­ssaient dans les mètres carrées de toile peinte. Mais lui savait qu’avec un seul petit tableau on pouvait annexer l’espace de tout un mur. Enfin, il faudrait parler de son extrême rigueur qui n’aura jamais été figée, mais au contraire légère comme le mot d’esprit qui fait surgir une vérité profonde, l’air de rien, sur le mode ludique. Alors, si je peux me permettre un conseil, si le virus fait encore peur, si l’angoisse de la récession vous étreint, si vous n’en pouvez plus du catastroph­isme ambiant, allez faire un tour au Centre Pompidou à partir du 14 octobre, dans la rétrospect­ive de Martin Barré, et laissez-vous aller, respirez, rejoignez le groupe toujours plus nombreux des amateurs heureux de cette peinture grave et joyeuse. Due to our publishing schedule, this op-ed was written at the end of July, in the midst of many uncertaint­ies, the outcome of which rests in the hands of the gods of Covid. Even the most optimistic among art dealers refrain from making prognoses on a potential “rebound” in September. Will the FIAC and Paris Photo Art Fairs take place? In museums, are they going to install conveyor belts forcing visitors to abide by a predefined itinerary, like in the Montparnas­se subway station? Amidst these rumination­s, my eye rested upon the proofs of Erik Verhagen’s article on Martin Barré, in the present issue. I came to the following realizatio­n: “Never mind,

that’s what matters.” In the art world, only a handful of us consider him as one of the most important painters of the 20th century. He died in 1993: the homage paid to him by the National Museum of Modern Art has been a long time coming. There is nothing spectacula­r or scandalous about his work. Nothing too strident that might stand out in the cacophony. Barré was a discreet, calm, exquisitel­y amiable artist, though not a socialite. He never did anything conducive to obtaining the status of “official” painter: he just went about producing one of the most unique oeuvres, one of the most unfet

tered, in all senses. Barré was first an excellent abstract painter of the 1950s School of Paris, and could have continued in that vein, on to a career similar to that of Hartung or Soulages. But abruptly departing from that context, he slipped his moorings in a dramatic gesture – one that had little to do with gestural painting. Reader, commiserat­e with us, poor critics, who are at pains to account for his “minimalism”, which is neither systematic nor dry; his squares are never truly squares, his whites rarely only whites; his straight lines… are a little shaky. The formats are modest, when his colleagues were competing with each other on how many square meters of canvas they could fill. Barré knew that a single small painting may sometimes claim for itself the space of an entire wall. His rigorous approach is remarkable: never stilted, always treading lightly like a bon mot that would unveil some profound truths, casually, as if it were all just a game. A word of advice: if you are scared of the virus, if you feel paralyzed at the thought of recession, or if you want to escape the current atmosphere of doom and gloom, go to the Centre Pompidou’s Martin Barré retrospect­ive from October 14. Let yourself go, breathe, and join the growing cohort of happy admirers of his merry, sober painting.

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