Sophie Lapalu
Street Works. New York, 1969
Presses universitaires de Vincennes, 256 p., 21 euros
Il ne faut pas nécessairement se fier au titre, quelque peu austère, de l’ouvrage de Sophie Lapalu : il n’est pas uniquement question dans celui-ci des Street Works, six événements organisés à New York en 1969 par John Perreault, Marjorie Strider et Hannah Weiner, rassemblant des artistes pour des actions en pleine rue, non divulguées comme telles. Cet essai très documenté est d’abord une réflexion absolument passionnante sur l’ambiguïté nécessaire de la performance refusant sa propre publicité et se fondant délibérément dans la foule de la ville contemporaine. En prenant appui sur certaines oeuvres devenues iconiques, telles Following Piece de Vito Acconci ou la série des Catalysis d’Adrian Piper, l’auteure explicite le paradoxe consistant à fuir une éventuelle sortie de l’art – comme par exemple ont pu le souhaiter les situationnistes – tout en se gardant également d’une intégration dans les lieux consacrés de l’art. En général, l’échec est patent : l’institution a une capacité agrégative plutôt agressive, surtout lorsque des supports visuels (photographies, films…) ont été conservés. Et tant pis s’il faut, pour satisfaire cette pulsion scopique, performer à nouveau devant l’appareil photographique. Les actions discrètes, furtives, invisibles, y compris pour le public dit « averti », sont l’occasion pour Lapalu de conclusions nécessaires, en ces temps de fascination à l’égard de la dématérialisation et de la documentation léchée: « Agir furtivement équivaut à refuser la société telle qu’elle est en ne se soumettant pas au champ de visibilité », écrit-elle ainsi. Le secret, l’investigation (et ses potentialités ludiques), loin d’être un fantasme pour happy few, seraient au contraire la possibilité de l’avènement d’un spectateur réellement émancipé.
Camille Paulhan