Nicolas Floc’h e p n t n p ur r z n
Cet automne, grosse actualité Nicolas Floc’h. Son exposition au Frac Paca, à Marseille (jusqu’au
17 janvier 2021), présente une grande partie de ses photographies de paysages sous-marins. Viennent également de paraître le catalogue
(Roma Publications) et le carnet de bord
(GwinZegal). Plongée en images.
(de phytoplanctons) lorsque la mer est turbide : « regard vierge » pour « espace autre ». Depuis 2015, initiant avec Ouessant (2016), en Bretagne, le grand ensemble des Paysages productifs dont toutes ces séries font partie, Floc’h réoriente sa pratique vers cette représentation inédite des espaces sousmarins. Il les construit comme l’ont été les paysages terrestres. Alors qu’il jouait des catégories (installations, films, sculptures, photographies, performances), ici, la photographie domine. Loin d’être étonnant, ce tournant s’impose comme la cristallisation de ce qui le précède. Partant du réel, les oeuvres au long cours de Floc’h ont toujours été attentives aux flux. L’idée de production, matérielle et symbolique, y est omniprésente. Le critique JeanMarc Huitorel (2) les classait selon trois notions anthropologiques : se nourrir, habiter et échanger. Suivant son processus propre et son « souci du monde » (3), dépassant les questions économiques ou sociales, les paysages de Floc’h s’étendent désormais à l’échelle de la biosphère : la mer, où se produisent les écosystèmes qui nourrissent la planète, aujourd’hui bouleversée par des phénomènes aussi globaux qu’abstraits qui font de ces océans méconnus les paysages les plus représentatifs du 21e siècle. Floc’h a lui-même pu constater ces phénomènes, en plongeant et naviguant depuis longtemps, ce dont ses oeuvres témoignent. En 1993, sa Peinture était un tableau-aquarium bleu Klein où flottaient deux poissons rouges. Dans les Architectures invisibles (2008-14), il s’intéressait aux filets de pêche, notamment les pélagiques utilisés entre deux eaux : « le pêcheur perce la surface en remontant une partie du mystère » (4). En 2010, avec les Structures productives, récifs artificiels, ensemble sur ces architectures créées puis immergées par l’homme, non pour lui mais comme habitat pour la faune et la flore, Floc’h réunit pratiques de la plongée et de la photographie, jusque-là dissociées, et se fait pêcheur d’images. Sans doute est-il nécessaire d’évoquer ce qu’implique la photographie sous-marine. Sous l’eau, tout est plus lourd, plus long : « Mon drame est que je suis une mule en permanence, je trimballe des sacs, des sacs et des sacs, j’ai mes affaires de plongée, plus les affaires photos (caisson avec hublot de 5 kg [qui protège l’appareil], appareil, objectifs, plombs [qui font descendre l’appareil]) et l’informatique. » Sans compter la logistique spécifique aux bateaux : on ne gare pas un voilier comme une voiture. ÉTAT ZÉRO Si Floc’h ne manifeste aucun engagement écologique militant, le sien est en revanche bel et bien physique (il parle d’ailleurs de performance photographique). Ajoutons que pour atteindre les récifs artificiels plus profonds, il a appris la plongée en bouteille et passé le brevet professionnel de scaphandrier, indispensable pour se joindre à des chercheurs. En effet, dans les Paysages productifs, les collaborations, constantes dans sa pratique, sont majoritairement scientifiques. Ces dialogues affinent sa lecture de son expérience et approfondissent ses connaissances : « série de déclics » pour une meilleure vue d’ensemble. Comment rendre visibles et concrètes les questions complexes que contiennent ces paysages ? Encore faut-il poser les bonnes. Mouvant, interagissant, en lien permanent avec l’air et la terre, l’océan est la base du vivant. Si seulement 5 % de ses fonds sont cartographiés, il n’en couvre pas moins 71 % du globe. Il est notre régulateur thermique. Le phytoplancton, les plantes marines et les algues produisent la majorité de l’oxygène mondial et absorbent la moitié du dioxyde de carbone, ce qu’on appelle joliment le carbone bleu. Pour Floc’h, la résidence sur le bateau de recherche Tara, dans le cadre de l’expédition scientifique Tara Pacific en 2017, a été déterminante. Au Japon, avec cette mission centrée sur les récifs coralliens au fil du kuroshio, surnommé « courant noir », il prend la mesure du réchauffement climatique et de l’acidification des océans. Là-bas, le premier est préfiguré par le passage naturel d’une zone tempérée à une zone tropicale, la seconde par une activité volcanique dont les bulles de CO2 font chuter le pH de l’eau à un niveau proche de celui qui nous attend en 2100, moment où le taux de CO2 dans l’atmosphère pèsera sans doute tout autant sur la capacité d’absorption des océans. Dans la série Kuroshio (2017), ces coraux rendent sensibles les deux phénomènes. Algues et coraux tapissent le fond des zones tempérées non acides. Plus l’eau est chaude, plus les écosystèmes « glissent », plus ces étranges coraux remplacent les algues. Ils finissent par blanchir et mourir si celles qui les nourrissent disparaissent. En zone acide, incapables de constituer un squelette calcaire, seuls subsistent des paysages ras de coraux mous. Dans les Calanques de Marseille, en Méditerranée, aucun volcan, mais des rejets de déchets (5). Avec la série Invisible (2018-20), l’artiste achève tout juste de composer un « état zéro », à un instant T, de l’ensemble des traits de côte du parc national qui protège cette zone, le seul périurbain d’Europe. Sous une surface miroitante, la pauvreté parfois radicale des paysages y déroule leur beauté écorchée et leurs immenses rochers, « sculptures en négatif » de Floc’h. Près d’un site si pollué qu’il est impossible d’y plonger, on trouve « seulement des poissons attirés par [c]es rejets et les planctons en suspension ». Ils apparaissent comme figés dans une fumée de charbon. Sous l’eau comme dans ses photographies, englobant tout le vivant, rien n’est superflu ou gratuit. Au-delà des fonds photographiques de référence qu’ils constituent et des informations scientifiques qu’ils photosynthétisent sans perdre de leur esthétique, ces Paysages productifs en arrivent à épouser les propriétés de leur objet. Ni tout à fait scientifiques, documentaires ou écologiques, les photographies de Floc’h sont surtout profondément océaniques.