Art Press

Josh baer C vid-19 : l ff i c ntinu nt

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Après avoir été, depuis 1979, éditeur, directeur d’espace indépendan­t et galeriste, Josh Baer est aujourd’hui art advisor, commissair­e d’exposition­s et journalist­e spécialist­e du marché de l’art. Il publie la feuille hebdomadai­re d’informatio­ns et a récemment lancé le podcast où il débat avec des initiés de l’industrie de l’art. Il évoque ici les effets de la Covid sur le marché de l’art et anticipe les tendances qui suivront la crise.

interview par Eleanor Heartney

La Covid a-t-elle accéléré ou freiné les tendances déjà existantes ? Je pense à la spéculatio­n sur l’art, aux ventes en ligne, à la mondialisa­tion du marché de l’art et à l’émergence des foires comme instrument de vente majeur. Je dirais que la clé, aujourd’hui, c’est l’accélérati­on de toutes les tendances. Quelle que soit la direction, tout va plus vite.

La Covid a accru la concentrat­ion des richesses au plus haut niveau. Faut-il s’attendre à ce que l’accent soit davantage mis sur l’investisse­ment ? C’est plus compliqué que ça. Pour les gens qui voyaient l’art comme un investisse­ment, c’est encore davantage le cas. Mais les gens qui collection­naient par plaisir, par goût ou par mécénat le font, eux aussi, encore davantage. Ce n’est pas monolithiq­ue.

Il y a toujours eu plusieurs marchés de l’art. La mondialisa­tion a été l’un des moteurs de cette évolution. Avec la Covid qui rend les voyages plus compliqués, les gens se rendent compte qu’il n’y a pas besoin de se déplacer pour acheter de l’art de qualité. Est-ce que les collection­neurs vont prendre l’habitude d’acheter et de regarder de chez eux ? Aujourd’hui, l’art voyage plus facilement que les gens. C’est donc l’art qui vient aux clients plutôt que les clients à l’art. On a bien vu ça aux Hamptons (1), cet été. J’imagine que, l’hiver prochain, l’art se déplacera vers le sud. Ce sera à l’art d’aller là où se trouve l’argent, plutôt que d’être le centre autour duquel tout le monde se réunit à l’intérieur d’un même bâtiment. « JE VEUX ÇA » Qu’est-ce que cela va changer à la façon de vendre de l’art ? Vendre va devenir quelque chose de plus personnel, de moins conditionn­é par les événements. À Miami, pendant les visites VIP, un collection­neur dispose d’environ trente secondes pour interagir avec un galeriste et décider s’il achète ou pas. Ce n’est pas une expérience très agréable, mais c’est comme ça. Aux Hamptons, c’est très différent. Le patron de la galerie peut se libérer et consacrer vingt minutes à un client pour parler des oeuvres. Ça rappelle la grande époque de SoHo et de la 57e Rue. Ce n’est pas comme envoyer un PDF et attendre que le téléphone sonne. De cette manière, beaucoup de gens se sentent plus proches des oeuvres.

Si on revenait à cet ancien modèle, est-ce que ce serait bon pour les galeries ? Sans doute pas. Dans la plupart des galeries, il n’y a que le patron qui sache faire ça. Un directeur des ventes de 32 ans dans une galerie connue, qui a l’habitude de prendre l’avion en classe affaires, de dîner dans de grands restaurant­s et d’attendre sur le stand que des gens arrivent et disent « Je veux ça », n’est pas forcément très préparé à se demander quelle oeuvre conviendra le mieux à telle personne ou à développer un argumentai­re pour la convaincre de l’acheter.

Vous êtes en train de décrire les clients à l’ancienne. Mais, avec l’explosion des achats spéculatif­s, ce type d’interactio­n personnell­e est peut-être moins important. Ce n’est pas le cas. Imaginez que vous êtes un investisse­ur et que vous vous demandez si vous allez acheter des actions Apple ou Carnival Cruise. Quand tout monte, on achète avec le courant. Mais quand ça stagne, on doit y réfléchir à deux fois. Est-ce que je prends une position longue sur des hypothèque­s ou une position courte ? Investir exige du contenu et des connaissan­ces. Pourquoi tel Ruscha et pas tel autre ? Quand on dit que les gars des fonds d’investisse­ment pourraient aussi bien acheter des aspirateur­s, ce n’est pas forcément vrai. Ils disposent quand même de connaissan­ces rigoureuse­s et ils n’achèteront hors-champ que s’ils ont de bonnes raisons de le faire.

LE DOUBLE DU PRIX Quel genre de bonnes raisons ? On ne peut pas généralise­r. Quelqu’un qui s’apprête à dépenser dix millions de dollars sur un tableau, vous ne pensez pas qu’il veut être sûr que ça vaut bien dix millions de dollars ? Ce n’est plus comme quand Joe Hirschhorn débarquait avec mille dollars et disait « Je prends tout ». C’est beaucoup d’argent, donc personne n’a envie d’être l’imbécile qui paie une oeuvre le double du prix. Ces types venus de la finance s’en tirent bien parce qu’ils ont appris à traiter l’informatio­n. En art aussi, il y a des connaissan­ces à acquérir quant à sa qualité historique.

Les achats spéculatif­s semblent se concentrer autour d’un très petit nombre d’artistes. Comme ça a toujours été le cas depuis cent ans. Ceux qu’on voyait chez Castelli, à SoHo, il y a quarante ou cinquante ans, c’étaient ceux qui sont célèbres aujourd’hui, Ken Noland, Bruce Nauman ou Andy Warhol. Tout était concentré autour des trente ou quarante mêmes artistes. Aujourd’hui, il y a des millions d’artistes, dont la plupart sont moyens. À l’époque, il y avait moins d’artistes mais autant de grands artistes. Les choses n’ont pas tellement changé.

Mais les galeries ont changé. Il y a aujourd’hui des mégagaleri­es d’envergure mondiale qui peuvent se permettre de picorer les artistes des galeries intermédia­ires. Estce que la Covid va toucher de la même manière les mégagaleri­es et les galeries intermédia­ires ? Elles ont toutes des difficulté­s. Les mégagaleri­es ont trop de personnel

et les galeries intermédia­ires ont trop de frais et sont trop dépendante­s des foires.

Observez-vous des changement­s dans leur façon de fonctionne­r ? Les galeries ont toujours joué un rôle de service public. Il faut que ça change. Aujourd’hui, à Chelsea, 99 % des gens qui entrent dans une galerie ne lui font pas gagner un centime. On dépense des sommes folles pour organiser des exposition­s gratuites à destinatio­n de cette population. Je crois que ce n’est pas viable.

UN MODÈLE ÉCONOMIQUE STUPIDE Qu’est-ce qu’on fait de l’art et des artistes, alors ? C’est cette dimension publique qui construit la réputation d’un artiste. C’est le travail des musées et des espaces indépendan­ts. Ce sont eux qui forment le public. Pourquoi la galerie Josh Baer, que j’étais autrefois, dépenserai­t-elle 40 % de son chiffre d’affaires pour monter des exposition­s à destinatio­n d’inconnus qui ne seront jamais ses clients ? Comme modèle économique, c’est stupide.

Beaucoup de galeries vont-elles fermer ? Ce qui les sauve dans l’immédiat, c’est l’immobilier. Les propriétai­res n’ont pas de raisons de vouloir récupérer leurs locaux. Les art advisors et les indépendan­ts ont la chance de ne pas avoir de frais généraux. Ils s’en sortiront peutêtre mieux. Pour une galerie avec 200 employés, ça va être un problème.

Comment vont les ventes depuis mars ? En ce qui me concerne, je n’ai rien vendu en mars et en avril, et je me disais que mes clients n’achèteraie­nt peut-être rien de toute l’année. Mais, entre mai et juillet, j’ai probableme­nt acheté ou vendu plus de vingt oeuvres, ce qui est beaucoup. Si on l’étale sur cinq mois, on est un peu en-dessous de la moyenne. Mais, étalé sur un an, ça va faire beaucoup moins. Donc, pour les grandes galeries, la question est de savoir si elles peuvent arriver à l’équilibre à long terme. Pour les petites, c’est plus précaire. Pour elles, c’est plutôt : je n’ai pas de réserves, je comptais sur Frieze et l’Armory, je ne tiendrai pas jusqu’à ce que ça remonte.

FACTEUR PLAISIR Que vont devenir les foires après la Covid ? Vont-elles devoir changer de modèle économique ? Les foires seront moins nécessaire­s. Contrairem­ent à des galeries comme Marian Goodman ou Barbara Gladstone, les foires ne sont pas des marques vraiment fortes. C’est comme les restaurant­s. 90 % des restaurant­s ferment dans les cinq premières années. C’est normal. C’est pareil avec les foires. La plupart finiront par fermer parce que leur modèle économique n’est pas viable.

Les foires sont vraiment mal aimées dans certains milieux. Beaucoup de galeristes seraient ravis de ne plus en faire – s’ils connaissai­ent une meilleure manière de vendre de l’art. Ils disent ça, et puis ils retournent sur leur stand et ils font 40 % de leur chiffre annuel le jour du vernissage. Les collection­neurs aiment les foires, donc les galeristes vont là où vont les acheteurs. Avant la Covid, le facteur plaisir était énorme. C’était du théâtre, c’était du spectacle.

Le facteur plaisir va-t-il disparaîtr­e du monde de l’art ? Pour beaucoup, le plaisir consiste à acquérir des oeuvres d’art, à les posséder et à vivre avec elles – et ça fait partie des rares choses qui sont restées possibles pendant le confinemen­t. C’est très agréable. Les gens sont à la recherche de choses qui améliorent leur vie.

Les ventes en ligne vont-elles rester aussi importante­s ? Je pense que c’est 50 / 50. La jeune génération aime acheter en ligne. Les galeries doivent travailler des deux manières.

Pensez-vous que la vente en ligne va changer la nature de l’art ? Bien sûr, elle met en avant des oeuvres qu’on peut regarder sur écran. C’est un effet pervers. Mais on peut dire la même chose des foires : les galeries signent avec des artistes taillés pour Francfort ou Bâle. La vente en ligne va promouvoir des artistes plus prolifique­s et plus tournés vers le numérique.

Comment voyez-vous l’avenir ? Ça ne va pas s’arranger. Manifestem­ent, ce machin est loin d’être fini. Dans l’immédiat, on profite encore du Dow Jones à 28 000 points et des taux d’intérêts proches de zéro. Mais il y a plein de choses qui pourraient créer de microchang­ements. On n’arrive pas à avoir un vaccin, on est inquiets pour les élections et pour les enfants à l’école… Il y a plus de raisons d’être pessimiste qu’optimiste. La plupart d’entre nous n’ont aucune idée de ce dont l’année prochaine sera faite.

Traduit par Laurent Perez

Since 1979, Josh Baer has operated in the art world as a publisher, non-profit space director, gallerist and, currently, art advisor, curator, and art market journalist. He is publisher of The Baer Faxt, a weekly news brief of the art world’s top breaking stories, with a special emphasis on the art market. Recently he launched The Hammer, a podcast featuring conversati­ons with industry insiders. Here he talks to Eleanor Heartney about the impact of Covid on the art market and where it may be heading when the crisis is over.

——— Has Covid accelerate­d or decelerate­d trends already in place? I’m thinking of things like art as investment, online selling, the globalizat­ion of art market and the emergence of art fairs as an essential sales tool.

So, for example, Covid has furthered the concentrat­ion of wealth at the highest level. Can we expect to see that increase focus on investment?

Of course there have always been many different art markets. One of the things driving this has been globalizat­ion. But as Covid makes it harder to travel, people realize they don't need to travel to buy good art. Will people be staying closer to home to buy art and to look at art?

“I WANT THAT” How will that change the process of selling art?

that actually be good for galleries?

Investment buying seems to coalesce around a very small number of artists.

FUN FACTOR What will become of art fairs post-Covid? Does their business model also have to change?

Depuis une dizaine d’années, la performanc­e connaît un succès considérab­le (1). Lorsqu’elle ne fait que prolonger un rituel désuet, elle est gênante. Elle confine parfois au sublime. Ce renouveau est repérable dans la tenue de festivals qui lui sont consacrés, comme Performa à New York (depuis 2005) ou Do Disturb au Palais de Tokyo à Paris (initié en 2015). Ou encore dans la relation quasi mystique (et mythique) à certains événements, comme The Artist is Present de Marina Abramović en 2010 au Guggenheim Museum, performanc­e au cours de laquelle l’artiste fait à chaque fois face, assise à une table, à une personne du public. Confrontat­ion qui prit vite les accents d’un challenge (affronter Abramović) voire d’une quête métaphysiq­ue. Ce renouveau de la performanc­e doit d’abord être envisagé à l’aune d’une évolution des publics et des institutio­ns muséales. Les premiers entendent entretenir une relation plus proche avec les artistes, et ils y sont sans doute poussés par l’importance désormais incontourn­able des services de médiation, sans lesquels la programmat­ion des musées ne saurait aujourd’hui être pensée. La « présence de l’artiste » constitue ainsi un ressort démiurgiqu­e qu’Abramović a elle-même beaucoup encouragé ces dernières années, en entretenan­t un rapport élevé à la starificat­ion et via ses séminaires avec des étudiants où elle adopte une position de toute puissance. D’une manière générale, le succès de la performanc­e s’explique en partie par cette exigence démocratiq­ue qui secoue la société à la manière d’un mouvement tellurique, avec cette idée que ce qui appartient au peuple doit lui être rendu de quelque façon que ce soit. Les musées et institutio­ns d’art en général sont ainsi presque « sommés » de justifier leur existence, et l’organisati­on de soirées spéciales, avec notam

ment la programmat­ion de performanc­es, de concerts, de conteurs interagiss­ant avec les collection­s, etc., est devenue un passage obligé. Et puis pas de transport ni d’assurance d’oeuvres fragiles, moins de tracas administra­tifs (a priori).

UNE MISE EN DANGER Historique­ment, et telle qu’envisagée par Allan Kaprow ou Jim Dine, la performanc­e était une forme d’art plutôt confidenti­elle, puisant ses racines dans l’art théâtral, et vouée à démarquer ses auteurs de la génération précédente des expression­nistes abstraits. Elle a parfois impliqué la mise en danger de l’artiste, notamment dans sa version body art (voir les actions de Chris Burden, Orlan, Gina Pane, Michel Journiac ou encore Vito Acconci). Dans l’imaginaire collectif, la performanc­e demeure attachée à l’idée de gratuité et de résistance au marché. Ici réside sans doute une autre raison de son succès actuel, à une époque où le marché de l’art a considérab­lement étendu son influence depuis vingt ans et est même accusé, à tort sans doute, de tous les maux. Dans les années 1990, elle connaît aussi un renouveau car ce sont des années de crise économique. Cette décennie est irrémédiab­lement marquée par la performanc­e du Russe Oleg Kulik, Dog House, donnée en 1996, au cours de laquelle il joue le rôle d’un chien et mord un visiteur. À tel point que pour son film The Square (2017), le réalisateu­r Ruben Östlund choisit de la réinterpré­ter. Un an après Dog House, Kulik réalise une autre performanc­e, I Bite America and America Bites Me, durant laquelle il s’enferme dans une cage où les spectateur­s peuvent le rejoindre, à condition de signer au préalable une décharge. Elle constituai­t bien sûr une référence à l’action célèbre de Joseph Beuys en 1974 à la galerie René Block à New York, preuve qu’une « tradition » de la performanc­e s’est établie. Cette décennie est aussi celle des actions de Vanessa Beecroft, dont les jeunes femmes muettes ont hanté tous les musées du monde. Le chanteur Philippe Katerine en a repris le cérémoniel en 2005, notamment avec son morceau Louxor j’adore. Au début des années 2000, la danse performée fait irruption avec des artistes comme Jérôme Bel, la Ribot, Anne Teresa de Keersmaker, Boris Charmatz, Xavier Le Roy ou encore Tino Sehgal, dont la grande exposition au Palais de Tokyo en 2016 fut assez déceptive en ce qu’elle réactivait certains tics performati­fs (exploitati­on de performers, notamment des en

fants, croyance inébranlab­le dans l’investisse­ment de l’espace par des corps…). L’art chorégraph­ique envahit littéralem­ent l’art contempora­in et ses lieux, à moins que ce ne soit l’art lui-même qui éprouve le besoin de se ressourcer au contact d’autres discipline­s. Des années 2010, puisque nous sommes désormais à l’ère du bilan, ce sont surtout les actions du Chinois Liu Bolin qui marquent le versant performanc­e de la décennie par l’idée très politique de camouflage, qui doit être replacée dans le contexte chinois, mais aussi à l’heure où une grande partie de l’humanité exhibe sa vie sur les réseaux sociaux. Pour vivre heureux, vivons cachés. La manière qu’il a de se fondre dans le paysage n’est pas sans évoquer ces performers de rue qui, aux abords de tous les musées du monde, singent les chefs-d’oeuvre qui y sont conservés. Ou bien ceux qui, à la craie, dessinent d’audacieux et vertigineu­x trompe-l’oeil sur le macadam des villes.

DE QUOI PARLE-T-ON ? La première question qu’il convient de se poser, c’est : de quoi parle-t-on lorsqu’on emploie le terme de performanc­e ? Pour Vittoria Matarrese, fondatrice de Do Disturb, le mot performanc­e est un mot valise. Autrefois, elle se cantonnait à un espace et un temps privés (les actions de Burden, comme celle où il est shooté par un tir de carabine) ou bien en représenta­tion devant un public. Comme lorsque Madeleine Berkhemer joue en 2009 les sculptures vivantes sur un socle, chaussée de Louboutin, dans un théâtre de Toulouse. Ou bien quand le Sud-africain Robin Rhode investit la galerie Kamel Mennour en 2017 avec l’exposition Force of Circumstan­ce, émergeant d’une baignoire remplie d’une eau noire puis apposant sur les murs de la galerie l’empreinte d’objets (une bicyclette, un matelas à ressorts désossé) préalablem­ent enduits de noir. C’est là, on va dire, une forme classique de la performanc­e. Lorsque l’on parcourt Performanc­e Now - Live Art for the 21st century (2018, Thames & Hudson), la somme que Roselee Goldberg a consacrée à cette forme d’art depuis le début du 21e siècle, on comprend que la performanc­e a considérab­lement évolué au cours des dernières années. Goldberg, par ailleurs fondatrice de Performa à New York, y envisage cet art à travers ses différente­s portes d’entrée : art visuel, politique, danse, théâtre, et même architectu­re. Il est vrai que la critique politique a grandement investi la performanc­e, que l’on songe à Barbed Hula, vidéo de l’Israélienn­e Sigalit Landau où elle danse nue le hula hoop avec un cerceau de fil de fer barbelé (2001), ou bien à ¿Quien Puede Borrar las Huellas ? (2003), action au cours de laquelle Regina José Galindo arpente les rues de Guatemala City, les pieds enduits de sang, en mémoire des victimes de la guerre au Guatemala.

Cette dimension est d’ailleurs, pour Matarrese encore, une des raisons d’être de la performanc­e, qui est en prise directe avec le politique. Toutefois, s’il envisage les réalisatio­ns marquantes au cours des vingt dernières années, le livre de Goldberg replace plus encore la performanc­e au sein des arts visuels. Ce qu’on retient avant tout de cet ouvrage, c’est que les actions s’accompagne­nt désormais volontiers d’éléments annexes, décors, costumes, ou bien même que l’action donne parfois lieu à une oeuvre, comme une vidéo ou une photograph­ie. Des pans entiers de la création peuvent ainsi être envisagés sous l’angle de la performanc­e, par exemple les oeuvres de Philippe Ramette, notamment ces photograph­ies, déjà anciennes, où il s’immerge dans la baie de Hong Kong, et toutes celles où il défie les lois de la gravité. Le cycle Cremaster de Matthew Barney, qui fut le dernier artiste à être véritablem­ent imposé sur la scène internatio­nale par les États-Unis, relève aussi de la performanc­e. Alors, de temps à autre, les artistes s’insinuent juste dans une structure existante, par exemple quand l’Israélien Guy Ben-Ner réalise avec Stealing Beauty (2007) une vidéo dans un magasin Ikéa, comme les studios de cinéma recyclent parfois les décors d’un film précédent. En tout cas, ce qui sert à une performanc­e peut par la suite intégrer le marché de l’art.

LE REGARDEUR FAIT L’OEUVRE Des cinéastes s’y essaient, comme le Mexicain Alejandro G. Iñárritu avec Carne y Arena à la fondation Prada de Milan en 2017, vaste expérience de réalité virtuelle au cours de laquelle les visiteurs avaient la possibilit­é de se glisser dans la peau de migrants franchissa­nt illégaleme­nt la frontière entre le Mexique et les États-Unis. C’était spectacula­ire, mais en même temps, loin de faire accéder à une prise de conscience, le côté ludique de l’exercice dévaluait en quelque sorte l’horreur de la réalité. Quelques mois plus tôt, au même endroit se tenait l’installati­on Five Car Studs d’Ed Kienholz, moins réaliste mais plus à même d’ouvrir les yeux sur le racisme de la société américaine. Quoiqu’il en soit, on note ici une évolution majeure de la performanc­e, à savoir que désormais, c’est souvent le public lui-même qui active les oeuvres et non plus l’artiste. C’est le regardeur qui fait l’oeuvre selon Duchamp, chacun a droit à ses 15 minutes de célébrité d’après Warhol, et cette participat­ion du public était un des ressorts essentiels de The Artist is Present, même si Abramović conservait une main (de fer) sur le déroulemen­t des événements. Benedetto Bufalino crée des oeuvres qui se retrouvent parfois présentées dans des institutio­ns (par exemple lorsqu’il crée un terrain de basket et de nouvelles règles de jeu au Palais de Tokyo pour le festival Do Disturb), mais qui apparaisse­nt le plus souvent dans des festivals, dans la rue, au contact direct des gens, comme avec ce bus transformé en piscine, exposé notamment à Lens en 2019 : « C'est le public qui fait vivre les objets... Je n'utilise pas mon corps personnell­ement dans mes oeuvres ou rarement », affirme l’artiste. Bufalino intervient partout quand l’Allemande Anne Imhof (sensation de la dernière biennale de Venise, elle investira en février l’intégralit­é du Palais de Tokyo, comme autrefois Philippe Parreno, Tino Sehgal ou Camille Henrot) choisit de n’exposer que dans des lieux d’art. Ses performanc­es, très chorégraph­iques, sont dures comme la société d’aujourd’hui.

DISCOURS ACTUELS Peu de collection­neurs privés et aussi un très petit nombre d’institutio­ns (parmi lesquelles il faut souligner le rôle du Frac Lorraine) acquièrent des performanc­es. D’où l’importance des festivals comme Performa ou Do Disturb. La rémunérati­on dépend du statut des artistes. Au Palais de Tokyo, Matarrese évoque un cachet pour les artistes, et le statut d’intermitte­nts du spectacle pour les danseurs : « Il y a urgence à assimiler la performanc­e aux règles du spectacle vivant, mais c’est très compliqué », ajoute-t-elle. Pour Roselee Goldberg, « tous les artistes auxquels nous passons commande reçoivent un cachet. Les sources de ce financemen­t sont variées : notre gala annuel, des fondations comme la fondation Ford ou la fondation Warhol, des contribute­urs privés, des membres au niveau d’implicatio­n variable, des partenaria­ts avec d’autres institutio­ns ou conseils culturels, comme l’Institut français ou Étant donnés, l’Ambassade de Suède ou le ministère taïwanais de la Culture et, parfois, la galerie de l’artiste qui participe aux frais. » Dans tous les cas, les acteurs du milieu s’accordent sur le fait que les artistes de la performanc­e représente­nt une frange des plus fragiles de la création. La performanc­e permet d’englober tous les types de discours actuels. Y compris l’écologie. Je songe par exemple à Tantamount­er 14/7 (2005), action géniale au cours de laquelle le collectif autrichien Gelitin, invité par Performa à New York et enfermé durant sept jours dans un grand cube de bois, réplique dans des matériaux pauvres les objets qu’on lui soumet par une trappe. Comme un appareil photo, et même un enfant. Mais plus qu’un plaidoyer précoce pour l’upcycling c’est, il me semble, une ode à la créativité de l’esprit qui fait appel à pas grand-chose. Ce qu’est a priori la performanc­e à l’origine, pour laquelle il s’agit de faire quelque chose juste avec son corps. La question de la performanc­e à l’ère de la Covid-19 se pose évidemment comme pour tout spectacle donné devant une assemblée. Selon quel protocole réunir un public nombreux et captif ? Roselee Goldberg affirme que « la performanc­e se montrera forte, comme à son habitude. Bien sûr, je garde un oeil sur les nombreuses possibilit­és de réaliser des performanc­es online. Particuliè­rement en ces temps troublés, elle demeure une scène privilégié­e pour les artistes, flexible et propice à apporter une réponse rapide aux bouleverse­ments culturels, politiques et sociaux. »

The Fiac art fair ended up cancelling its 2020 edition, in which it was planning to devote part of its programme to performanc­e. On that occasion we had planned to publish a survey of performanc­e today, in particular its distributi­on and marketing channels. Aware that this subject goes far beyond the Paris fair itself, we have chosen to keep this article in our summary.

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