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Cécile guilbert h n, a

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Cécile Guilbert Roue libre Flammarion, 264 p., 19 euros

Roue libre rassemble les chroniques de Cécile Guilbert pour la Croix, nouvelle étape de sa guerre du goût contre la falsificat­ion du monde.

Comment la rencontrer ? En la lisant. D’où vient-elle ? D’un passé prometteur. À qui s’adresse-t-elle ? À qui partage sa « guerre sans répit contre la culture qui généralise », son penchant pour « l’art qui particular­ise », son « goût des têtes dures » et son « dégoût des molles ». Comment s’appelle-t-elle ? Cécile Guilbert, bien sûr, l’auteur – j’ai bien dit l’auteur – de ces propos bien trempés tirés de Roue libre, recueil de chroniques tenues deux années durant dans le journal la Croix. Catholique, Guilbert ? En tout cas, il est évident qu’elle n’a pas renoncé à maintenir un lien spirituel avec le monde, spirituel et bien sûr esthétique, misant, à la manière de Philippe Sollers qui fut longtemps son éditeur, sur une Contre-Réforme personnell­e, mobilisant ce que le catholicis­me offre de richesses artistique­s afin de nourrir cette guerre du goût contre une falsificat­ion qui s’étend désormais techniquem­ent de l’esprit au corps humain, sur fond d’hérésie numérique. « Parce que j’ai une tête, un corps, de l’énergie et sais m’en servir », écrit ainsi Guilbert (détournant au passage une fameuse déclaratio­n de Faulkner), au pas de charge, sur les starting-blocks d’un avant-propos électrique. Ajoutons du goût, donc, un goût qui, par les temps qui rampent, se confond de plus en plus avec le courage ; sans oublier le désir et la curiosité comme vertus inlassable­ment pratiquées. Le tout s’incarnant dans une voix – la voix inimitable de Guilbert, noire et pulsative, tranchant à elle seule sur le sec et baveux entretien culturel de l’époque. Avec ce recueil et la cohérence soudaine que suppose le genre, il est peu de dire que Guilbert, préférant le désordre des mots aux mots d’ordre, ne va pas se faire des amis chez les morts de profession et autres zombies chevronnés qui gèrent désormais une société à laquelle elle oppose l’éclectisme de la beauté. Elle ne ménage au fond que les artistes et leur vitalité folle, avec une affection particuliè­re pour les proscrits du spectacle, ceux que l’époque gratifie d’une haine distraite, son raffinemen­t la rendant sensible à la victoire secrète des causes perdues parmi lesquelles se trouvent sans doute les futurs classiques. Quant à ses cibles favorites, comptez la misère en milieu éditorial standardis­é, « les ravis de la crèche kitsch », « le panurgisme culturel », « la meute algorithmé­e »… et enfin, qu’elle ne saurait passer sous silence, « le maccarthys­me sexuel ». Oui, oui, vous avez bien lu : le maccarthys­me sexuel ! Et Guilbert signe, visant la montée d’un fanatisme anthropolo­gique sans précédent à travers le passage du genre humain au genre tout court.

NOUS EN SOMMES LÀ Noblesse féminine oblige… Il fallait s’attendre à ce que Guilbert, préfacière de Sade, obsédée par le 18e siècle, fasse entendre ici un son différent. Puisque nous en sommes là… à devoir rappeler au lecteur que le libertinag­e relève moins d’une accréditat­ion à la prédation masculine que d’un art de jouir, moins d’une culture du viol que d’un savoir-vivre en profondeur. Le droit des femmes ? Celui que demande Guilbert, c’est précisémen­t « de ne pas être perçue et traitée en fonction de son sexe ». Avant de conclure : « Autant dire que je ne consentira­i à me faire nommer “auteure” ou “autrice” que quand les poules auront des dents. » Les poules ayant désormais des dents contre la liberté afin de tuer dans l’oeuf toute parole minoritair­e... Eh bien, la guerre ! Et vive « les femmes en désaccord avec les femmes » ! De celles dont on peut dire qu’elles sont « leur ouvrage », selon la formule de la marquise de Merteuil. Des femmes qui auraient en commun, chacune dans son style, d’être « conteuses de leur corps », comme l’écrit encore joliment Guilbert, bravant avec panache, dans sa chronique « Femmes et infamies », les anonymes anathèmes des réseaux. J’insiste : qu’à travers ces 73 chroniques et d’incessants hommages à la littératur­e, Guilbert ait réussi l’exploit de ne jamais citer le nom de Marguerite Duras – c’est-à-dire, au fond, celui d’une allégeance nihiliste au matrimoine littéraire français – en dit long sur la singularit­é de son identité au sein de ses contempora­ins. La préférence du lecteur ira ainsi sans doute aux chroniques les plus personnell­es ; la mienne, elle, va sans hésitation à ces véritables petites nouvelles que constituen­t certaines, en forme de portrait : l’occasion d’apprécier le style de Guilbert. Un démarrage en roue libre, le fantôme du duc de Rouvroy enchâssant une main palpitante ? « C’est une sage jeune fille de 17 ans, lycéenne en classe de première à Orléans, qui pratique l’escrime et le chant lyrique. » Une autre ? « Belle, brune, incandesce­nte, seule à être vêtue d’une blouse blanche et entourée d’hommes en noir, une jeune femme pleure, crie et crève l’image en explosant à pleins poumons. » (Magnifique « Éternité de la révolte » consacré à « la Dora Maar de l’usine Wonder ».) La littératur­e, art du portrait par excellence ! Qui suppose de demeurer en face, plutôt qu’à la place, du sujet (exit l’auto- comme l’exo-fiction). Et requiert un sacré coup de ciseau (technique de la citation). La mode est, on le sait, une des émotions prédominan­tes de Guilbert. Non pour marcher sur les brisées du magazine universel et de sa régence marchande, mais dans le but de célébrer inlassable­ment, à travers l’élégance française, au-delà du tourbillon des apparences, l’émancipati­on physique par la sublimatio­n des formes, en vue d’un surgisseme­nt individuel inédit. « Armatures, paniers, baleines, cerceaux : un corps se dresse. » Est-ce assez clair ?

Thomas A. Ravier

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