Takiji Kobayashi
Le 15 mars 1928
Amsterdam, 128 p., 12 euros
Premier roman de l’écrivain communiste japonais Takiji Kobayashi (19031933), le 15 mars 1928 est la troisième de ses oeuvres traduites en français après le Bateau-usine (Allia, 2015) et le Propriétaire absent (Amsterdam, 2017). Ce court texte, classique dans son pays, fait le récit de l’arrestation d’un groupe révolutionnaire clandestin dans les premières années du règne de Hirohito, et semble anticiper le destin tragique de son auteur, mort à 29 ans sous la torture. On y découvre tout un pan méconnu de l’histoire sociale et intellectuelle japonaise, où le genre du roman prolétarien se voit teinté d’une surprenante couleur locale : débarquant chez un militant pour l’arrêter, des policiers soulèvent les tatamis à la recherche d’armes ou de documents cachés ; faute d’argent pour acheter du papier de riz, une famille de communistes nécessiteux obstrue les parois crevées de ses cloisons coulissantes ( shōji) avec des journaux subversifs. Contemporain de Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin et des premiers romans de John Dos Passos, le 15 mars 1928 mobilise, comme eux, une construction éclatée, alternant les points de vue, sur la base de témoignages recueillis par l’auteur. La perquisition est ainsi racontée depuis le lit d’une petite fille, réduite à deviner l’enchaînement des événements d’après les sons et les ombres qu’elle perçoit derrière le shōji. Mais on reste surtout impressionné par les scènes de prison, où les personnages terrifiés essaient de comprendre ce qui arrive à leurs camarades derrière les portes des salles d’interrogatoire. Le procédé évite ainsi la tentation du discours idologique, en donnant voix à toutes les visions du monde en jeu, tant à l’intérieur du mouvement que parmi les policiers, qui réagissent de façon très variée à leur sale besogne.
Laurent Perez