Yang Jiechang l s dév t o s d’u l ttré
Il y a un an, la galerie Jeanne Bucher Jaeger présentait une étonnante exposition de Yang Jiechang, confrontant les styles très différents, traditionnel chinois, calligraphique, gestuel, dans lesquels travaille l’artiste. L’idée est alors née d’un dialogue entre lui et Jean-Hubert Martin qui le révéla au public occidental à l’occasion de Magiciens de la terre en 1989. L’entretien eut lieu dans la foulée, en mars 2020.
Quand je t’ai rencontré à Canton en 1987, j’ai été frappé par le fait que tu t’intéressais à l’histoire, et en particulier à l’histoire de la peinture chinoise et à la calligraphie. Tu m’as dit à plusieurs reprises que tu avais appris trois types de peintures différents. Quels étaient ces trois styles ou techniques et en quoi se distinguent-ils de la tradition occidentale ? À l’âge de trois ans, mon grand-père m’a appris à me servir d’un pinceau. Il était propriétaire terrien, et l’usage du pinceau faisait partie de sa culture familiale. Il avait une position de pouvoir dans le village. Traditionnellement, quelqu’un de son statut pouvait choisir des enfants du village, même pauvres, pour leur transmettre son enseignement et puis, s’ils étaient doués, les envoyer passer les examens impériaux. Il ne s’agissait pas de m’apprendre la calligraphie ou l’art. Sans doute ne savait-il pas ce qu’était l’art. Il voulait m’apprendre à écrire le chinois de la plus belle manière. Tous les soirs, je dessinais les caractères chinois. Aujourd’hui, dans les écoles d’art, on apprend soit l’art, soit la calligraphie, mais on a perdu cet enseignement basique de l’utilisation du pinceau et de l’encre, ces deux outils fondamentaux de la culture chinoise. Pendant la Révolution culturelle, mon père m’a envoyé apprendre la calligraphie à l’Institut d’art folklorique de Foshan. Mais mon maître ne m’a pas enseigné la calligraphie. Il m’a pris comme apprenti et m’a appris ce qu’étaient les matériaux, l’encre, etc. Pendant que je moulais l’encre et préparais le papier pour mon maître, j’écoutais ses conversations avec ses amis sur la peinture et la calligraphie. Je sens encore l’odeur de l’encre, et encore aujourd’hui cette odeur est primordiale pour moi. Ce parfum est comme une drogue et je choisis l’encre en fonction de son odeur.
TUER ET METTRE LE FEU C’est comme l’intoxication des peintres à la térébenthine que Marcel Duchamp dénonçait chez ses collègues. Aucun professeur ne parle de ça dans les écoles d’art, mais quand on apprend d’un maître selon la tradition, on acquiert des connaissances plus globales. J’avais 13 ou 14 ans à l’époque. Je venais d’une famille de militaires – mon père était officier de l’armée –, et mon but était moins de devenir peintre ou calligraphe que de devenir garde rouge et d’écrire des dazibao. Mon maître Lin Juanxuan a senti ce penchant et le danger. Il ne m’a pas laissé apprendre un style de calligraphie courante qui convenait pour écrire des slogans politiques. J’ai donc appris la calligraphie, mais j’ai choisi une direction moins pratique : j’ai pris comme modèle la calligraphie sur pierre et stèle, en particulier le Sūtra du Diamant du mont Tai. Par conséquent, ma calligraphie est devenue brute et incompatible avec le style utilisé sur des dazibao ; mais, dès le début, elle a trouvé une certaine profondeur grâce au modèle que j’avais choisi. C’est ça l’éducation et on m’a laissé suivre cette voie hors du courant dominant. Mon maître me disait que c’était un exercice qui ne servait à rien, pourtant aujourd’hui je considère cet enseignement comme essentiel. Il a engendré mon style lourd, brut et puissant. Quand je vois l’enseignement dans les écoles de beaux-arts de l'époque, je le trouve artificiel. À l’Institut d’art folklorique de Foshan, j’ai également appris la peinture traditionnelle en copiant la peinture de fleurs et d’oiseaux de la dynastie Song. L’empereur Huizong de Song, peintre et calligraphe accompli, ne s’occupait que d’art et pas de gouverner le pays, qu’il entraîna dans une catastrophe politique. Là, il y a un parallèle avec Hitler qui voulait devenir artiste, qui a été refusé à la Kunstakademie de Vienne et qui a entraîné le monde dans une catastrophe. À l’institut, le travail était très classique et méticuleux. Ça me prenait plusieurs mois pour copier une peinture. On faisait ces copies pour les vendre à l’étranger. Souvent, on travaillait à plusieurs sur la même oeuvre. C’était comme une manufacture. J’ai beaucoup appris sur les techniques traditionnelles. Un autre maître, Chen Ningdan, m’a finalement enseigné la peinture à l’encre. Si j’y pense maintenant, j’ai été très heureux à l’institut pendant quatre ans et demi. Plus tard, à l’Académie de Canton, je ne me suis pas senti à l’aise. Il fallait apprendre l’aquarelle et le portrait selon les modèles soviétiques. J’ai perdu deux ans sur quatre que durait le cursus, jusqu’en 1982, à dessiner des têtes d’ouvriers, de paysans et de soldats et à apprendre ces modèles rigides. Comme oeuvre terminale, j’ai présenté en réaction un ensemble de deux peintures : une peinture à l’encre dont le titre est Massacre et une autre dans la technique méticuleuse, titrée Feu. Ces deux oeuvres sur la mort et l’incendie étaient inacceptables pour les autorités. Les deux sujets lus ensemble signifiaient « tuer et mettre le feu ». Sujet impossible dans le monde artistique chinois du début des années 1980, encore gouverné par les principes esthétiques du réalisme socialiste. J’étais très critiqué par tous les professeurs. Plus tard, ils m’ont pourtant nommé professeur. Je ne comprends toujours pas pourquoi, un vrai paradoxe.
Sans doute ont-ils senti tes capacités créatives. J’avais aussi acquis cette connaissance des techniques de la calligraphie, de la peinture méticuleuse et de la peinture à l’encre. Ils avaient d’ailleurs besoin de jeunes professeurs à l’époque, juste après la Révolution cul
interview par Jean-Hubert Martin
turelle. J’y ai travaillé sept ans et quand je t’ai rencontré, je n’en pouvais plus, j’avais envie de me suicider, même si les étudiants m’appréciaient beaucoup. Au lieu de leur donner des cours, je travaillais avec eux.
As-tu toujours des contacts avec eux ? Oui, mais il y a eu des problèmes. J’avais été nommé tuteur de la classe de terminale. Deux étudiants, membres du parti communiste, m’ont dénoncé. Je ne sais même pas ce que j’avais dit de mal. Peut-être qu’il fallait suivre ses sentiments et sa sensibilité personnelles. J’avais refusé de donner des sujets précis. Je devais leur enseigner pendant huit semaines, mais la direction de l’académie ne m’en a laissé que deux. Je n’ai plus eu le droit d’enseigner la classe préparatoire pour l’examen. Les deux étudiants qui m’avaient dénoncé sont devenus professeurs à l’académie ! Ils ont imposé des réunions hebdomadaires. Vers la fin des années 1980, beaucoup d’étudiants ont quitté l’académie pour faire des affaires et du commerce.
STÈLES VIDES Comment as-tu réagi en arrivant en Europe et en découvrant l’art occidental et ses paramètres complètement différents ? Comment as-tu imaginé d’établir ou non un lien avec lui ? J’ai tout de suite pensé travailler avec l’encre et le pinceau. Je ne voulais pas non plus faire de la peinture abstraite. Je ne savais rien sur l’art moderne. Je ne connaissais que Picasso. Quand j’étais encore en Chine, un Allemand du Goethe Institut de Canton m’a montré une vidéo sur la performance de Joseph Beuys avec le coyote, I Like America, America Likes Me, ainsi que sur
James Lee Byars et Nam June Paik. Hou Hanru (1) a emprunté ce film, ce qui lui a permis ensuite de faire connaître Beuys en Chine.
C’était par conséquent très gonflé de ta part de faire ces quatre grandes peintures noires, Hundred Layers of Ink, pour Magiciens de la terre (2), car elles ne se référaient directement à aucune des deux traditions pour toi. Tu ne connaissais pas le Carré noir de Malévitch à ce moment-là. J’ai étudié l’histoire de l’art chinois qui contient beaucoup d’anecdotes. Il y a celle de l’artiste qui se déshabille pour peindre devant l’empereur qui acquiesce et demande qu’on le laisse faire. De même celui qui se met à peindre avec ses cheveux. Toutes les excentricités étaient autorisées à l’artiste.
J’ai vu Ben peindre avec ses cheveux lors d’une de ses performances Fluxus. Une oeuvre classique, une stèle funéraire, m’a beaucoup touché, celle sans inscription sur la tombe de l’impératrice Wu Zetian de la dynastie Tang (3). Cette stèle est complètement vide. Wu Zetian était une femme de pouvoir très critiquée à cause de son despotisme : elle a tué ses enfants et elle a épousé le fils de son mari.
C’était une artiste ? Je l’admire beaucoup sur le plan culturel, même si elle était horrible sur le plan politique et humain. Elle connaissait bien la culture arabe qui était une des influences sur la dynastie Tang et dont elle s’est imprégnée. Cette grande stèle vide m’a tant impressionné qu’elle est devenue ma référence pour les peintures en 1989. Une autre stèle ne comporte aucune inscription.
Cette stèle de quatre mètres de haut qui se trouve au sommet du mont Tai a été faite pour les dieux, les esprits. On a dit qu’elle était en attente d’inscriptions qui n’ont pas été gravées, mais c’est faux : elle était destinée à rester vide. Elle tente de relier la terre et le ciel.
Trente ans après, j’ai enfin la clé de ces oeuvres. Je comprends maintenant que c’est en accumulant des couches d’encre noire que tu as essayé de retrouver la profondeur de la pierre noire. Depuis 3 000 ans, la Chine a toujours été un régime autoritaire et totalitaire, mais elle autorise une incroyable liberté sur la feuille de papier. C’est un paradoxe qui maintient la vitalité.
DÉVIATION ET IDÉES NÉFASTES Tu m’as dit qu’une des grandes difficultés rencontrées en arrivant ici en Europe était de penser en termes d’individu portant un jugement indépendant et non plus en terme de collectivité et de groupe social. Les utopies étaient tellement différentes entre l’Europe et la Chine. L’utopie communiste met tout au service de la collectivité et broie l’individu. Nam June Paik, que j’ai rencontré lors de Magiciens de la terre, a joué un grand rôle pour moi. Il était extrêmement cultivé, il ne connaissait pas seulement sa propre histoire, celle de la Corée, mais aussi celle de la Chine. Il avait travaillé pendant neuf ans sur une traduction du Shiji, les mémoires historiques de Sima Qian (écrits de - 109 à - 91). Paik est devenu mon mentor. Il m’a fait décerner la bourse de la Pollock Krasner Foundation en 1990. Il avait l’humilité d’un maître chinois, il se fichait de la renommée et du succès. Un jour, il m’a dit : « Now Chinese are coming. » Il ne parlait pas de moi, mais de la situation culturelle. Il était d’une intelligence qui saisissait tout.
Il m’a dit à plusieurs reprises combien il avait adoré Magiciens de la terre. C’était réconfortant à une époque où l’exposition était loin d’être ovationnée ! J’ai essayé de suivre son exemple. Il n’était pas pédagogue, mais je crois que sa spiritualité orientale a beaucoup influencé Beuys et Fluxus d’une manière plus générale.
Beuys n’a pas été inclus dans l’exposition, parce que j’ai suivi la règle un peu stupide de ne rassembler que des artistes vivants et il était mort trois ans auparavant. Il aurait dû en faire partie pour sa contribution à l’esprit de l’exposition. Magiciens de la terre a été d’autant plus importante pour moi que j’y ai rencontré Nam June Paik, un modèle qui représente le sage chinois, le vrai in
tellectuel contemporain. Connaissant les films de Beuys, j’ai jugé Nam June Paik aussi important que lui. Les deux artistes Fluxus ont été ma porte d’entrée dans l’art contemporain occidental et ont complètement transformé ma conception de l’art. Paik m’a traité en égal et j’ai pu de ce fait pénétrer de plain-pied dans ce monde, en ne me sentant plus comme l’étranger chinois.
Tu te réfères à Paik comme à un maître, mais tu as un maître à penser que tu retournes régulièrement voir en Chine.
Il y a beaucoup de chemins différents en Chine. Dans les années 1980, les gens pratiquaient le qi gong, sorte de méditation où on se retrouve dans de grands rassemblements pour libérer l’énergie vitale de chacun. À l’époque, je m’intéressais à ces mouvements. Je suis également allé dans le temple bouddhiste de Canton, le Guanxiao Si. Mais les prêtres que j’y ai rencontrés aimaient l’argent et les femmes. Je suis alors allé dans un temple taoïste dans les montagnes près de Canton où j’ai trouvé maître Huangtao. Je lui ai demandé de m’initier… Pendant le temps que j’ai passé avec lui, il ne m’a rien appris. J’ai toujours estimé qu’il était plus grand que moi, mais aujourd'hui je pense qu’en fait il n’avait rien à m’apprendre. Souvent, la foi et la confiance sont des ressorts de la création, j’aime cette mystique. Beaucoup plus tard, maître Du, personnalité réputée localement, est venue me voir lors d’une de mes expositions et m’a laissé son numéro de téléphone. Il était très différent des précédents rencontrés dans les temples. Il m’a appris des techniques de méditation. Il a créé un centre alternatif et une ferme dans un village pas très loin de ma ville natale, où je lui rends visite de temps en temps pour échanger des idées. Je me méfie de tout ce qui est politiquement correct. Je préfère les déviations et les idées néfastes.
Te considères-tu comme rebelle ?
Je ne me suis jamais vu comme ça. J’ai simplement toujours essayé de faire les choses différemment. Je corresponds à ce qu’on appelle un shi, un lettré, une personnalité cultivée, au jugement indépendant mais qui peut avoir des fonctions officielles. Traditionnellement, les lettrés pouvaient s’adresser de plain-pied à l‘empereur. La pratique de la calligraphie était pour eux un moyen de reconnaître des alliés, car le style calligraphique et la main individuelle reflètent la personnalité et le goût de l’auteur. Ce type d’intellectuel a disparu dans la société chinoise moderne qui suit les principes du pragmatisme et de la croissance économique.
Tu dis, comme un autre artiste, Huang Yong Ping (1954-2019), que tu suis la philosophie taoïste.
Le texte taoïste le plus connu est le Tao te king de Lao-tseu. Dans des textes classiques, il n’y a pas de ponctuation, ce qui laisse la place à l’interprétation. La célèbre première phrase du livre est conventionnellement traduite comme cela : « Le Tao (la voie) qu’on peut nommer n’est pas le Tao (la voie) éternel », mais si on met une virgule ou un point, ça donne : « Le Tao peut, le Tao ne peut pas » ou « Le Tao est, le Tao n’est pas », ça c’est le Tao éternel. Je pense que c’est ainsi qu’il faut lire cette phrase. Le Tao dépasse le clivage du bien et du mal, comme le Ying et le Yang. En tant qu’artiste, je poursuis du côté du mal (rire). Pour moi, c’est ça le taoïsme.
DOUBLE VIEW
Ça explique ton intérêt pour des sujets aussi excentriques qu’Hitler.
C’est un projet auquel je tiens beaucoup. Malheureusement Hitler n’a pas eu de bon professeur. S’il avait eu un bon professeur, il serait probablement devenu un bon artiste, mais il a été livré à luimême et on connaît le résultat. En copiant ses peintures, j’ai appris qu’un enseignement conventionnel qui n’aboutit qu’à des stéréotypes crée des êtres bornés et dangereux.
Tu utilises parfois des dessins d’Hitler que tu couvres d’un autre dessin, laissant le premier transparaître.
Il s’agit d’une variation de ma série Double View. Les dessins de cette série ont souvent des sujets d’actualité et controversés : je couvre un dessin plutôt réaliste avec un deuxième qui est une libre interprétation du premier. Je fais ces dessins très vite, à l’encre et au pinceau, ne cherchant pas à copier et n’arrivant pas à être juste. J’ai réalisé la copie de la calligraphie du moine japonais Sengai pour l’exposition Carambolages (4) de la même manière. J’ai exécuté plusieurs dizaines de versions avec difficulté, car je ne connaissais pas la taille de l’original qui est très petit. À la fin, j’ai réussi à me l’approprier. D’ailleurs, j’ai l’habitude de ne rien jeter, car quand j’étais étudiant, j'étais très pauvre et les matériaux coûtaient chers. Alors j’ai souvent réutilisé le papier sur lequel se trouvait déjà un dessin.
Tout ça explique le fait que tu travailles à différents niveaux en même temps, dans des styles très différents. C’est la relation avec le Tao dont tu viens de parler : tu poursuis à la fois une voie de la beauté conventionnelle et, en même temps, tu te livres à des dessins expressionnistes.
C’est le résultat des différents enseignements que j’ai décrits auparavant : la calligraphie, la peinture à l’encre et la copie des chefs-d’oeuvre de la dynastie Song. Je voulais toujours être un bon élève et suivre les leçons de mes maîtres, mais à la fin j’ai toujours dévié des modèles. Ce qui était souvent une catastrophe pour moi, car je ne correspondais pas aux conventions et aux directives idéologiques. Avec le temps, j’ai accepté ce trait de ma personnalité, j’y prends même plaisir. Quand je ne sais plus où aller dans mon travail, je retourne à la calligraphie. Dans la calligraphie, on ne peut pas corriger ou tricher car, encore une fois, la personnalité, l’enseignement et le goût d’une personne y sont visibles. Être artiste est surtout une éthique, une
attitude, qui repose sur l’expérience et la communication. L’art est un message qui peut inciter l’individu à aller au-delà de ses limites, à transgresser conventions et tabous.
Tu as réalisé beaucoup d’oeuvres érotiques et, en particulier, récemment, des peintures où toutes sortes d’animaux pratiquent des accouplements interraciaux. S’agit-il d’une conception du monde où les êtres vivants, humains et non-humains, communiquent perpétuellement entre eux ?
À la fin des années 1990, j’ai travaillé sur une série de dessins érotiques à l’encre et à l’acrylique, qui aboutissaient à des expressions loin d’être descriptives. Après une décennie de peintures monochromes noires, j’avais besoin de me libérer. Je me souvenais des « peintures du Palais de printemps », peintures érotiques chinoises pour gens cultivés, ou encore des estampes japonaises qui sont plus crues et expressives et que j’aimais beaucoup quand j’étais jeune.
Plus tard, lors de la crise économique de 2008, je suis revenu à ce sujet dans les séries Stranger than Paradise et Tale of the Eleventh Day. J’étais furieux d’avoir perdu mon argent et la situation générale d’un capitalisme sauvage pratiqué de plus en plus dans cette époque de la globalisation rapide me dégoûtait. J’avais envie de travailler sur l’idée du paradis, où règne la communion de toutes et de tous, refuge fragile où tout dépend du maintien de l’harmonie et de l’équilibre du pouvoir. J’ai préparé des dessins de couples d’ani
maux et d’êtres humains en train de commu- niquer ou de forniquer. Je n’étais pas content de ces dessins qui étaient trop descriptifs. Mon épouse Martina m’a encouragé à continuer de travailler sur le sujet et elle a réalisé plus de deux cents dessins de couples divers et variés que j’ai repris dans mes peintures.
Je pensais en fait à la spécificité unique de la civilisation occidentale qui isole la nature de la culture, comme le démontre Philippe Descola (5).
Je me considère effectivement un animal.
Lequel ? Un singe. n
(1) Critique d’art et commissaire d’expositions chinois, né en 1963 à Canton. Il a été commissaire du pavillon français à la biennale de Venise en 1999 et du pavillon chinois en 2007. Il est directeur artistique du MAXXI à Rome. (2) Exposition réalisée par J.-H. Martin en 1989 (Centre Pompidou et Grande Halle de La Villette, Paris) et qui réunissait pour la première fois les oeuvres d’artistes de tous les continents. (3) Wu Zetian (624-705), seule impératrice régnante de l’histoire chinoise. (4) Autre exposition organisée par J.-H. Martin (Grand Palais, Paris, 2016) sur le principe de libres associations entre des oeuvres d’art et des objets d’origines diverses et de toutes les époques.
(5) Anthropologue, titulaire de la chaire d’anthropologie au Collège de France de 2000 à 2019, auteur de Par-delà na
ture et culture (Gallimard, 2005). Jean-Hubert Martin fut directeur de la Kunsthalle Berne, du Musée national d’art moderne Centre Pompidou, du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie, Paris, et du Museum Kunst Palast, Düsseldorf. Il a dirigé les programmes artistiques du Château d’Oiron et du PAC, Milan. Il a conçu des expositions décloisonnées en confrontant des oeuvres de caractère hétérogène et favorisé ainsi un renouvellement du regard. Il a été commissaire de nombreuses biennales et expositions d’envergure : Paris-Berlin (1978),
Paris-Moscou (1979), Magiciens de la terre (1989), Carambolages (2016).