Comme un parfum d’aventure
MAC / 7 octobre 2020 - 3 janvier 2021
Après une première collaboration en 2019 entre les musées des beauxarts et d’art contemporain de Lyon, les deux institutions se réunissent cette fois-ci dans la seconde pour proposer une exposition collective bâtie à partir de leurs collections, mais sans se limiter à l’art moderne et contemporain, les quatre commissaires, Sylvie Ramond, Isabelle Bertolotti, Marilou Laneuville et Matthieu Lelièvre, ayant puisé dans un large spectre historique allant de l’Antiquité à nos jours. À cette approche transhistorique se greffe la volonté de démultiplier les perspectives avec des oeuvres ne figurant pas dans les collections et avec des artistes vivant en France, plus particulièrement en Auvergne-Rhône-Alpes. S’articulant autour de la question du déplacement, Comme un parfum d’aventure ne saurait être envisagé ni parcouru sans tenir compte de l’empêchement de circuler imposé par la crise sanitaire. L’exposition de 2019, Penser en formes et en couleurs, dans son insouciance et sa légèreté, appartenait encore au monde d’hier. Comme un parfum d’aventure retraduit celui d’aujourd’hui et sans doute de demain. Se déployant sur deux étages, l’exposition revendique son statut d’enquête sur un déplacement pensé à l’aune des « mythes et [d]es conquêtes, [de] la régulation de la circulation par les frontières, [d]es idéologies politiques, [d]es systèmes économiques et [d]es grands mouvements migratoires qui leur sont étroitement liés, de même que [de] l’impact du dérèglement climatique sur les mouvements massifs et croissants de population ». La liberté de circuler et ses restrictions sont en toute logique au coeur de cette exposition déclinée sous forme de thèmes où oeuvres de tout temps se répondent. Mais son intérêt réside aussi dans les passerelles qu’elle autorise entre les différentes sections, dans ses déplacements qui permettent à telle proposition de renvoyer à telle autre vue dans un tout autre contexte thématique. Il en est ainsi du Théâtre infini de Barthélémy Toguo qui évoque une conception des Alpes résolument « étrangère » à celle fantasmée par Panamarenko. On pourrait multiplier les correspondances. Et saluer la sélection large et généreuse qui réunit plusieurs peintres comme Marc Desgrandchamps ou Giulia Andreani dont les oeuvres égrènent un parcours placé sous le signe de l’éclatement et de la complémentarité. On notera à ce titre que nombre de propositions partent d’un constat local pour atteindre l’universel. C’est le cas du Homeless
Au mur et au sol / wall and floor: OEuvres de / works by Carmelo Zagari
et Clara Saracho de Almeida. Vue de l’exposition / exhibition view « Comme un parfum d’aventure ». (Ph. Blaise Adilon)
Vehicle de Krzysztof Wodiczko, aussi intemporel que perpétuellement d’actualité, qui pourrait être adapté à bien des situations urbaines contemporaines, malgré le fait qu’il soit né d’une observation des laissés-pour-compte de l’Amérique reaganienne. Il en est de même, dans un tout autre registre, des travaux de Gaëlle Foray et Jean-Xavier Renaud qui, chacun à sa manière, ont su scruter les travers et absurdités de la politique locale d’une commune du Haut-Bugey et de la mise en danger de la biodiversité qui s’y opère tout en établissant des correspondances avec des contrées lointaines, à l’image du tableau déjanté Hauteville-Texas du second. Une autre idée du voyage. Et d’un parfum indéniablement nauséabond.
Erik Verhagen
——— After a first collaboration in 2019 between the Museum of Fine Arts and the Contemporary Art Museum in Lyon, the two institutions are coming together, this time in the latter, to offer a collective exhibition constructed from their collections, but not limited to modern and contemporary art.The four curators, Sylvie Ramond, Isabelle Bertolotti, Marilou Laneuville and Matthieu Lelièvre, have drawn on a broad historical spectrum from Antiquity to the present day. Added to this trans-historical approach is the desire to multiply perspectives with works not included in the collections and artists living in France, more particularly in AuvergneRhône-Alpes. Centred around the question of displacement, Comme un Parfum d'Aventure [Like a Perfume of Adventure] cannot be contemplated or traversed without taking into account the impediment to movement imposed by the health crisis. The 2019 exhibition, Penser en Formes et en Couleurs [Thinking in Shapes and Colours], in its carefree and light-hearted way still belongs to the world of yesterday. Comme un Parfum d’Aventure translates the fragrance of today and no doubt of tomorrow. Spread over two floors, the exhibition asserts its status as an investigation into a displacement conceived in the light of “myths and conquests, the regulation of movement through borders, political ideologies, economic systems and the great migratory movements closely linked to them, as well as the impact of climate change on massive, growing population movements”. Freedom of movement and its restrictions are logically at the heart of this exhibition, which is divided into themes where works of art from all eras interract. But its value also lies in the bridges that it provides between the different sections, in its displacements which allow one offer to refer to another view in a completely different thematic context. Such is the case with BarthélémyToguo’s Théâtre Infini which evokes a conception of the Alps that is resolutely “foreign” to that fantasised by Panamarenko. One could multiply the correspondences. And to salute the large, generous selection which brings together several painters, such as Marc Desgrandchamps and Giulia Andreani, whose works are part of a journey constructed under the sign of fragmentation and complementarity. It should be noted that many of the offers start from a local observation to reach the universal.This is the case of Krzysztof Wodiczko’s Homeless Vehicle, which is as timeless as it is perpetually topical, and which could be adapted to many contemporary urban situations, even though it was born from an observation of the neglected people of Reagan's America. The same is true of the work of Gaëlle Foray and Jean-Xavier Renaud who, each in their own way, have been able to examine the shortcomings and absurdities of the local politics of a commune in the Haut-Bugey and the endangerment of biodiversity there, while at the same time establishing connections with faraway places, like the crazy Hauteville-Texas painting by the latter. Another idea of the journey. And with an undeniably nauseating odour.
Quelques égarés masqués longent les remparts d’Avignon tandis que se déploie la façade de l’Ardenome, ancien grenier à sel, désormais consacré aux nouveaux médias et géré par le fonds de dotation EDIS. Ses espaces accueillent J’ai fait ta maison dans ma boîte crânienne, exposition labyrinthique, à l’image de l’oeuvre que Jeanne Susplugas (France, 1974) poursuit depuis une vingtaine d’années. Ce titre, plus littéraire qu’il n’y paraît, contracte les obsessions et les paradoxes d’un travail qui explore les thèmes de l’addiction et de la folie lente, la violence de l’intime, le théâtre de la société et les capillarités entre monde extérieur et vie intérieure. À ce délicat dessein, Susplugas ne sacrifie jamais la quête d'une beauté vénéneuse et convoque une multitude de médiums, le dessin, la photographie, la vidéo, les installations visuelles ou sonores. Le parcours débute avec le clou de l’exposition, mais n’anticipons pas. Sans surprise, une maison nous accueille peu après. La Flying House est renversée comme par un ouragan du Michigan, déversant au sol ses inquiétantes entrailles éparpillées par la tempête, et qui n’auraient jamais dû la quitter : une raquette de tennis, un réveil, mais aussi un revolver, un poing américain, une boîte d’anxiolytiques. Plus loin, on retrouve avec plaisir des dessins de la série In my Brain, où l’artiste dresse le portrait psychique de ses interlocuteurs grâce au lexique enfantin de leurs préoccupations obsédantes noyées dans un entrelacs de synapses. Par cette méthode singulière, Susplugas répond avec fantaisie à la question du nécessaire renouvellement de l’art du portrait. Mais voici qu’une musique familière se fait entendre. Sacrée bouteille de Graeme Allwright. Puis Brassens, Brel, Lama, Gainsbourg… Au plafond, la Disco Ball tournoie comme une boule à facettes éblouissante des boîtes de nuit du Lido languedocien, adoptant la structure chimique de l'éther. La composition sonore qui l’accompagne – plus de deux cents extraits de chansons liées à l’usage de psychotropes – provoque un délicieux étourdissement dans lequel se confondent addiction et nostalgie. L’expérience sensorielle de I'll Sleep when I am Dead, qui introduit l’exposition, ouvre de nouvelles portes de la perception. Équipé de lunettes de réalité virtuelle, le spectateur est embarqué dans un songe éveillé, balade ondoyante au coeur d’une galaxie de neurones où défilent des figures quotidiennes, mouvantes et dessinées. À la griserie technologique succède l’envoûtement d’une navigation lente au coeur d’un cerveau triant ses émotions dans un abécédaire surréaliste. Des objets inquiétants apparaissent. Des éclats de voix – violence domestique, manipulation mentale ? – émaillent la bande-son. La promenade se conclut sur la menace de l’orage qui gronde. Loin du gadget, cette première incursion dans la réalité virtuelle offre une adéquation remarquable entre médium, narration et réception. À l’image d’une Laurie Anderson, Susplugas a su s’emparer de cet outil à double tranchant pour le faire basculer du côté de la poésie.
Numa Hambursin
——— A few masked drifters wander along the ramparts of Avignon by the façade of the Ardenome, a former salt warehouse, now dedicated to new media, and managed by the EDIS endowment fund. Its spaces are hosting J’ai fait ta maison dans ma boîte crânienne [I Have Made Your Home in My Cranium], a labyrinthine exhibition, in the form of the work that Jeanne Susplugas (France, 1974) has been pursuing for the past twenty years or so. This title, more literary than it seems, brings together the obsessions and paradoxes of work that explores the themes of addiction and gradual madness, the violence of intimacy, the theatre of society and the capillarities between the outside world and inner life. To this delicate end, Susplugas never sacrifices the quest for a poisonous beauty, and summons a multitude of media: drawing, photography, video, visual and sound installations. The visit begins with the keystone of the exhibition, but let’s not get ahead of ourselves. Unsurprisingly, a house welcomes us shortly afterwards.The Flying House is turned inside out as if by a Michigan hurricane, pouring to the ground its disturbing entrails scattered by the tempest, contents that should never have left it: a tennis racket, an alarm clock, but also a revolver, a knuckle duster, a box of tranquilisers. Further on, we are pleased to find drawings from the series In My Brain, in which the artist paints the psychological portrait of her interlocutors, thanks to the childish lexicon of their obsessive preoccupations drowned in an interlacing of synapses. Via this singular method Susplugas whimsically answers the question of the necessary renewal of the art of portraiture. But now familiar music can be heard: Graeme Allwright’s song Sacrée Bouteille, then Georges Brassens, Jacques Brel, Serge Lama, Serge Gainsbourg... On the ceiling, Disco Ball swirls like a dazzling faceted ball from the nightclubs of the Languedoc Lido, adopting the chemical structure of ether.The accompanying sound composition— more than two hundred excerpts from songs linked to the use of psychotropic drugs—provokes a delicious dizziness, in which addiction and nostalgia merge. The sensory experience of I’ll Sleep When I Am Dead, that introduces the exhibition, opens new doors of perception. Equipped with virtual reality goggles, the spectator embarks on a waking dream, a wavering stroll through the heart of a galaxy of neurons where everyday, drawn figures in motion parade by. Technological exhilaration is followed by the spell of slow navigation in the heart of a brain sorting out its emotions in a surrealist alphabet book. Disturbing objects appear. Bursts of voices—domestic violence, mental manipulation?— are scattered throughout the soundtrack. The walk concludes with the threat of a rumbling storm. Far from being a gimmick, this first foray into virtual reality offers a remarkable balance between medium, narration and reception. Like a Laurie Anderson, Susplugas has managed to seize this double-edged sword and swing it to the side of poetry.