MONTPELLIER
Possédé.e.s
Possédé.e.s, sous-titrée « déviance, performance, résistance », pose un problème commun à une bonne partie de l’art actuel : comment regarder les oeuvres sans se laisser décourager par le boniment, hérité des cultural studies, qui articule le propos de l’exposition ? Le défi mérite cependant d’être relevé, s’agissant d’une exposition d’une qualité exceptionnelle, sur des thèmes – la sorcellerie, l’occulte, la possession – qui, pour avoir été popularisés par la tendance la plus confuse du féminisme contemporain, n’en demeurent pas moins passionnants. Le savoir ésotérique se définit par sa transmission sélective au moyen de codes : c’est à ces codes que plusieurs oeuvres, chargées de solides références historiques ou ethnologiques, empruntent l’inépuisable fascination qu’elles exercent. La table et les trois chaises en métal qui composent l’installation de Nils Alix-Tabeling sont saturés d’éléments, de matériaux et de symboles provenant de la tradition alchimique, dont l’artiste signale son association classique avec l’homosexualité masculine. Jean-Baptiste Janisset étend son Sourire aux Anges, assemblage de cabanes pour enfants rehaussées de plaques de plomb, aux dimensions d’un petit Palais idéal du facteur Cheval arborant cette fois des symboles émanant de diverses religions. Autres secrets, autres codes : un personnage du portrait de groupe d’Apolonia Sokol, reprise trans du Printemps de Botticcelli, se frotte les avant-bras afin d’y faire pénétrer l’oestrogène. Le choix de matériaux déroutants, hybrides, confère une présence physique puissante aux oeuvres, qui résistent souvent à la prise de vue. Nandipha Mntambo manipule des peaux de vaches, auxquelles elle donne la forme de corps féminins acéphales et aériens dans The Shadows Between Us (2013). L’installation de Paul Maheke associe des représentations fantomatiques, dessins, cubes de verre, sur des plaques de métal. Règne une atmosphère générale de mystère, fortement sexualisée, volontiers inquiétante, et très heureuse dans son refus serein des hiérarchies culturelles – à la manière, on l’imagine, des expositions internationales du surréalisme d’après-guerre. Certaines oeuvres témoignent d’ailleurs d’un humour noir – au sens de Breton, c’est-à-dire pas drôle – qui confirme cette filiation. Le film de Pauline Curnier Jardin Qu’un sang impur, génial remake menstruel d’Un chant d’amour de Genet, livre à une orgie imaginaire un extravagant aréopage de vieilles actrices ; tandis que l’incroyable installation de Laura Gozlan met en scène sur trois écrans, au milieu d’artefacts évoquant la momification, une femme entre deux âges, étriquée dans un tailleur crème, qui se shoote aux vapeurs de momie afin de s’assurer la vie éternelle. « La médiocrité de notre univers, demandait Breton, ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d'énonciation ? » Peutêtre manque-t-il seulement à Possédé.e.s, pour relever la puissance émancipatrice du surréalisme, de s’énoncer dans un langage un peu plus incarné, un peu moins autoritaire.
Laurent Perez
——— Possédé.e.s [Possessed], subtitled “deviance, performance, resistance”, poses a problem common to much of contemporary art: how to look at the works without being discouraged by the waffling, inherited from cultural studies, which articulates its intent? However, the challenge deserves to be taken up, as this is an exhibition of exceptional quality, on themes—witchcraft, the occult, possession—which, having been popularised by the most confused trend in contemporary feminism, remain no less exciting. Esoteric knowledge is defined by the selective transmission of codes; to those codes, several works loaded with solid historical or ethnological references borrow their inexhaustible fascination.The table and three metal chairs that make up Nils Alix-Tabeling’s installation are saturated with elements, materials and symbols from the alchemical tradition, the classical association of which with male homosexuality the artist points out. Jean-Baptiste Janisset extends his Sourire aux Anges [Smile to Angels], an assemblage of children’s play dens decorated with lead plaques, to the dimensions of a small version of Ferdinand Cheval’s Ideal Palace, displaying symbols from various religions. Other secrets, other codes: a character from the group portrait of Apolonia Sokol, a trans version of Botticcelli’s Primavera, rubs oestrogen into her forearms. The choice of perplexing, hybrid materials confers a powerful physical presence on the works, which often resist being photographed. Nandipha Mntambo manipulates cow hides, to which she gives the form of headless, aerial female bodies in The Shadows Between Us (2013). Paul Maheke’s installation combines ghostly representations, drawings, glass cubes, on metal plates. There reigns a general atmosphere of mystery, strongly sexualized, intentionally disquieting, and very happy in its serene rejection of cultural hierarchies—in the manner, one imagines, of international exhibitions of post-war surrealism. Certain works, moreover, bear witness to a dark humour—in André Breton’s sense, that is to say, not funny— which confirms this filiation. Pauline Curnier’s film Qu’un Sang Impur [Just an Impure Blood], a brilliant menstrual remake of Genet’s Song of Love, delivers to an imaginary orgy an extravagant Areopagus of aged actresses; while Laura Gozlan’s incredible installation
Y.E.S. stages on three screens, amidst artefacts evoking mummification, a middle-aged woman squeezed into a cream suit shooting herself up with mummy vapours to ensure eternal life. “Does not the mediocrity of our universe, Breton asked, depend essentially on our power of enunciation?” In order to relieve the emancipatory power of surrealism, Possédé.e.s would perhaps have needed to enunciate itself in a language a little more incarnated, a little less authoritarian.