Art Press

Jean Meckert

- Laurent Perez

Nous avons les mains rouges

Joëlle Losfeld, 320 p., 12,80 euros

Nous avons les mains rouges reprend, après plus de dix ans d’interrupti­on, la réédition des oeuvres de Jean Meckert (1910-1995) par Joëlle Losfeld. Publié en 1947, le roman est celui des règlements de compte. Pacifiste et antimilita­riste, l’auteur y met en scène une famille de montagnard­s, dingues pas si doux, chercheurs d’absolus qui veulent « vivre comme s’il était possible de circonscri­re la saloperie » et poursuiven­t après la Libération l’action purificatr­ice entreprise pendant la Résistance. Tous les salauds du canton, profiteurs de guerre et collabos de retour, devront y passer – sans oublier les témoins de leurs crimes, victimes impersonne­lles de la cause. À travers les yeux de Laurent, ouvrier déboulé par hasard à sa sortie de taule, les personnage­s apparaisse­nt comme autant de figures excessives, quasi allégoriqu­es – le pater familias charismati­que, avec son langage fleuri, presque cabalistiq­ue, la grosse brute joviale ne rêvant que de carnage, la vierge jurée et sa soeur innocente et sourde-muette. Les tableaux se succèdent, étrangemen­t beaux, tendus entre les mirages du délire et le terre-à-terre de l’action violente, et les atrocités croissent et prospèrent jusqu’à un final horrible – qui évoquerait le titre de Léo Malet la Vie est dégueulass­e, si la dégueulass­erie n’était, chez l’anarchiste Meckert, toujours située. C’est ici la « race inférieure » des « ploucs » – à laquelle Meckert, alias Jean Amila pour la « Série noire », fera à nouveau son affaire, tendance pochtronne­rie rurale, dans Jusqu’à plus soif (1962) – qui a raison de la morale un peu passive de Laurent. Nous avons les mains rouges est aussi une remarquabl­e interrogat­ion sur la violence révolution­naire, qui sera toujours contre-productive car « toute terreur appelle un pouvoir fort et des lois d’exception ».

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