STÉPHANIE SOLINAS
– LE GUIDE DU POURQUOI PAS ?
Stéphanie Solinas Guide du Pourquoi pas ? Seuil, 192 p., 17 euros
« En Islande, tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a vu un elfe. » Stéphanie Solinas est sans aucun doute « quelqu’un qui a vu ». Elle a vu des paysages, des vallées mouvantes, des sentiers, des gorges, des volcans et des cratères, des cols et des crêtes, quelques récifs, des champs de lave, un glacier et un désert. Elle a vu la forme de cette île qu’est l’Islande, elle a vu sa ressemblance avec un cerveau humain renversé. Et elle est partie en expédition. Elle a arpenté le territoire géographique de l’Islande mais aussi son territoire irrationnel, à la poursuite des êtres invisibles, des revenants et des elfes, des croyances et d’une certaine forme de magie qui peuple ce pays. Ce qu’elle n’a pas vu, ou puisque ça, cette part-là, elle ne l’a pas vue, elle est allée la chercher et la recueillir dans les paroles, les récits d’artistes, de mediums et de scientifiques. Sous l’égide des Charcot, père et fils, JeanMartin, médecin et fondateur de la neurologie moderne et Jean-Baptiste, médecin et explorateur polaire, qui abandonna la médecine à la mort de son père pour poursuivre son rêve de navigation et qui mourut au large de Reykjavic en 1936 dans le naufrage du Pourquoi Pas ? IV, le Guide du Pourquoi pas ? parcourt l’envers et l’endroit d’un monde. Ce monde clos où Jules Verne avait localisé le passage vers le centre de la terre, le volcan endormi Snæfellsjökull sur la péninsule des Disparus. Ce monde où la science le dispute à la croyance, où les vivants coexistent avec les morts. Pourquoi l’Islande, pourquoi ce lieu-là ? Pourquoi pas ? Oui, d’abord, pourquoi pas. Mais aussi parce que dans cette solitude et cet éloignement, cette terre garde un lien singulier avec les forces telluriques, avec la nature et avec l’inexpliqué. Ce qui intéresse l’artiste Stéphanie Solinas, photographe et plasticienne, est justement cet inexpliqué qu’elle ne cherche en aucun cas à résoudre, mais plutôt à observer et à explorer. Ce qui est en jeu c’est ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas, ce que cela peut bien signifier de « voir » et le rapport entretenu avec le savoir. Un savoir qui ne se réduit pas au savoir scientifique. S’il est question des esprits, de la couleur des auras, du pont entre les deux mondes, des gens cachés ou des maisons des elfes, il est aussi question des recherches génétiques sur la population islandaise, de la génétique des pensées, du gène de l’artiste. Elle aime à confronter la rigueur d’une démarche scientifique à l’inconnu des forces obscures et aux images absentes qu’elle produit également par ailleurs et parallèlement. Les paroles recueillies et savamment assemblées en différentes voies nous guident à l’endroit du mystère. Dans ce livre étonnant par sa construction topographique, Solinas propose des itinéraires pour se retrouver dans les méandres de l’identité islandaise, pour ne pas se perdre dans les circonvolutions de la connaissance. C’est un livre de croisements, d’entrelacements, un livre sur ce qui se noue entre les êtres, entre les êtres et la nature, entre le visible et l’invisible, entre ce qui se voit et ce qui se dit, entre ce qui se dit et ce qui s’écrit. Les mediums le disent, ce qui est « vu » est ensuite transcrit par écrit. L’écriture joue ce rôle. À la fois drôle et étrange, incrédule mais pas tant que ça, attentif et curieux, un peu magique, le Guide du Pourquoi pas ? emmène ailleurs, à tous points de vue et fait rêver.