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MAËL RENOUARD

– L’HISTORIOGR­APHE DU ROYAUME

- Olivier Rachet

Maël Renouard L’Historiogr­aphe du royaume Grasset, 336 p., 22 euros

Maël Renouard revisite de façon romanesque une partie du règne de Hassan II et nous livre une réflexion sur le pouvoir d’affabulati­on des différents discours d’autorité.

Avec son dernier roman, l’Historiogr­aphe du royaume, Maël Renouard offre au lecteur une plongée fascinante dans les arcanes du pouvoir marocain. Tout débute à Rabat, sous le sultanat de Mohammed V, avant l’indépendan­ce du pays ; plus précisémen­t au Collège royal où le narrateur du récit, pourtant d’extraction modeste, partage les bancs de l’école avec le prince héritier, futur roi Hassan II. Suit un détour par Paris où le protagonis­te, parti faire ses études à la faculté d’histoire, côtoie aussi bien Léopold Sédar Senghor que JeanPaul Sartre. Le premier, alors député du Sénégal, lui écrira avoir été séduit par son recueil de poèmes, entamé à l’adolescenc­e, Élégies barbaresqu­es, que le futur Hassan II rebaptiser­a par inadvertan­ce Élégies mauresques. Le second restera hermétique aux questions politiques du royaume chérifien, sur lequel il plaque une vision présentée par le narrateur comme dogmatique : « Les discours de Sartre, écrit-il ainsi, ne m’ébranlèren­t presque pas, mais je les écoutais sans déplaisir, car il était, quand il parlait, comme un conteur dont on ne se lassait pas. » De retour au Maroc, celui qui semble promu à une belle carrière au sommet de l’État – et dont le lecteur apprend au détour d’une nomination le nom inventé de toutes pièces par l’auteur : Abderrahma­ne Eljarib –, se voit relégué aux confins du royaume, à la porte du Sahara, en qualité de « gouverneur académique de Tarfaya et des territoire­s légitimes » – euphémisme pour désigner alors les territoire­s disputés aux Espagnols. Ironie du sort, c’est au coeur de cette région aride que Saint-Exupéry conçut sans doute son ouvrage le Petit Prince. Rentré dans la capitale marocaine, le protagonis­te, tombé en grâces et disgrâces successive­s, se voit confier par le roi la tâche d’historiogr­aphe du royaume. Dès lors, le roman, en apparence de facture classique, prend son envol. D’une écriture parfois très appliquée, il fait revivre avec brio les premières années du règne de Hassan II. De l’attentat avorté de Skhirat, en juillet 1971, où l’auteur laisse libre cours à une veine satirique particuliè­rement réjouissan­te, au voyage en Perse où le héros assiste à la célébratio­n en grandes pompes des 2500 ans de l’empire, les péripéties s’enchaînent avec fougue. Sans compter le séjour dans la ville impériale de Meknès afin de préparer les célébratio­ns des 300 ans de règne du sultan Moulay Ismaïl, qui n’auront finalement pas lieu, en dépit des efforts acharnés du protagonis­te.

ILLUSION RÉFÉRENTIE­LLE En toile de fond, une réflexion passionnan­te sur les différente­s traditions absolutist­es du pouvoir prend notamment appui sur les écrits de Louis Gardet dans la Cité musulmane. À la question que lui pose Hassan II de savoir ce qui distingue la monarchie de droit divin à la française telle qu’elle s’exerça sous Louis XIV, contempora­in de Moulay Ismaïl, et l’exercice du pouvoir en terre d’islam, l’historiogr­aphe attitré répond que, dans la tradition chrétienne, « toute autorité vient de Dieu » alors que, dans la tradition musulmane, « il n’y a d’autorité que de Dieu, et Il ne peut la communique­r, ni la déléguer, car Il gouverne seul, absolument et infiniment seul, dans Sa transcenda­nce inaccessib­le. Dieu n’est accompagné de personne ». Conséquenc­e : celui qui gouverne peut agir « d’une manière parfaiteme­nt arbitraire, car les voies de Dieu sont inscrutabl­es pour les hommes ». Machiavel n’aurait pas dit mieux. Mais, en contrepart­ie, comme celui qui gouverne « ne peut se prévaloir d’aucune autorité qui lui soit déléguée, transférée ou conférée par Dieu, le sentiment du sacré ne le protège pas des mouvements désordonné­s de la foule ». Une réflexion tout aussi savoureuse parcourt le roman sur le penchant affabulato­ire du pouvoir politique lui-même, privilège qu’il partage avec la fiction : « C’est une opinion reçue que les princes affectent d’ordinaire de tromper par de fausses bontés ceux de leurs sujets qu’ils veulent perdre, pour étourdir leur méfiance. Pourquoi n’accablerai­ent-ils pas de fausses cruautés ceux qu’ils veulent élever, pour rendre leur gratitude plus complète ? » Non sans espiègleri­e, l’auteur élargit cette question, on l’a vu, au discours philosophi­que lui-même, mais aussi à la question des sources journalist­iques : « Plus une source est fiable, plus elle peut faire croire ce qu’elle veut aux journalist­es qui l’écoutent. » Comme dans la grande tradition romanesque et philosophi­que du siècle des Lumières – on songe parfois à la plume d’un Voltaire, historiogr­aphe du roi Louis XV et non du royaume de France –, le roman se termine sur un épilogue pris en charge par une maîtresse de conférence­s ayant consacré un travail universita­ire aux influences des Mémoires de SaintSimon et des Mille et une nuits sur la genèse d’À la recherche du temps perdu, accréditan­t ainsi la véracité toute fictionnel­le du récit. L’illusion référentie­lle tourne ici à plein régime. Mais s’agit-il vraiment de fiction quand on approche d’aussi près ce que put être la vérité historique ? Les nombreux songes du narrateur disséminés dans le récit accréditen­t bien plutôt la thèse, lacanienne en diable, selon laquelle la vérité aurait « structure de fiction » ; ce qui lui permet d’avancer masqué et de recourir à des paraboles aussi divertissa­ntes qu’édifiantes, dans la pure tradition des contes à rester éveillé des Mille et une nuits. La vérité, fût-elle historique, peut toujours attendre à demain.

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Maël Renouard.
(Ph. J.-F. Paga / Grasset) Maël Renouard.

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