Art Press

Than Hussein Clark, Luigi Serafini

- Crac Occitanie / 10 octobre 2020 - 3 janvier 2021

Elle vous stupéfie, qui vous toise de ses dix mètres de haut, un bras lancé en l’air, triomphant, l’autre sur la hanche. Barbara Hutton, explique l’artiste d’origine américaine Than Hussein Clark (1981), était cette richissime héritière surnommée « la reine de Tanger » en raison des soirées folles qu’elle donnait dans sa villa de la cité marocaine, où elle s’expatria durant les années 1960, comme Paul Bowles ou William Burroughs. La statue descend la passerelle reconstitu­ée d’un avion d’époque. Elle évoque le Nu descendant un escalier de Duchamp. Elle s’apprête d’ailleurs à mettre le pied sur un sol en forme d’échiquier. Une belle musique s’égrène d’un vieux magnétopho­ne Revox, air composé par Paul Bowles, réenregist­ré à l’envers par l’artiste. Au mur, une gigantesqu­e toile de chintz Rose Cummings, dont le motif fleuri imite celui de la maison d’Yves Saint Laurent à Tanger, les couleurs roses et vertes ici inversées. Son titre, D’après (Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa) renvoie au tableau d’AntoineJea­n Gros, élève de David, dont l’oeuvre épouse la dimension, comme un motif caché sous ce faux papier peint, une couche encore plus ancienne de l’histoire, celle de la domination française sur le pays. Pans d’histoire et histoires s’enchevêtre­nt. Le propre voyage du plasticien, de Sète jusqu’au port marocain, lui permit de plonger dans l’imaginaire que la ville incarne depuis des siècles pour tant d’artistes venus comme lui d’Occident, et dont il révèle avec mordant l’orientalis­me bon marché, les phantasmes et stéréotype­s. Conçue comme une sorte de machine à remonter le temps, son exposition suggère une hypothèse puissante : les traces de l’histoire, qu’elles soient marques de violence ou d’amour, surgissent mieux quand on navigue à rebours, à la façon du Orphée de Cocteau. Ou du film Casablanca, remonté entièremen­t à l’envers par l’artiste. On croise également dans ce périple des horloges exposées façon cabinet de curiosités, des photos de la tombe de Jean Genet sur laquelle un jeune homme déclame des poèmes ou encore Renaud Camus, théoricien ultraréact­ionnaire, pris à son propre piège : l’artiste alla jusque chez lui afin de lui demander une dédicace pour Nelson Dryer, ce héros de Paul Bowles qui fuit l’Europe pour le Maghreb. Soit l’exact opposé du « grand remplaceme­nt » que professe Camus. L’autre exposition, de Luigi Serafini, part aussi d’un imaginaire méditerran­éen, baroque, fantastiqu­e. Des mystères de la route du thon jusqu’à une fascinante « femme carotte », les étranges créatures du maître italien dessinent les contours d’un monde sans limite, une nature à déchiffrer avec enchanteme­nt, comme un livre ouvert. Au coeur du dispositif, le mythique Codex, cet alphabet inventé par l’artiste en 1976, intraduisi­ble et donc universel, « qui nous rend tous analphabèt­es et donc égaux », comme le rappelle la commissair­e d’exposition, Marie de Brugerolle. C’est in fine son regard, poétique et délicat, sa fantaisie autant que sa rigueur, qui rendent ces deux exposition­s remarquabl­es.

Yann Perreau

——— She astounds you, looking down at you from her ten-metre height, one arm thrust in the air, triumphant, the other on her hip. Barbara Hutton, explains the American-born artist Than Hussein Clark (1981), was an extremely wealthy heiress nicknamed “Queen of Tangiers” because of the wild parties she used to give in her villa in the Moroccan city, where she went abroad during the 1960s, like Paul Bowles and William Burroughs.The statue descends the reconstruc­ted ramp stairs of a period aircraft. It calls to mind Duchamp’s Nude Descending a Staircase. She is about to set foot on a chessboard-patterned floor. Beautiful music is played on an old Revox tape recorder, an aria composed by Paul Bowles, rerecorded backwards by the artist. On the wall, a gigantic Rose Cummings chintz canvas with a floral pattern imitating that of Yves Saint Laurent’s house in Tangiers, the pink and green colours here reversed. Its title, D’après (Bonaparte Visitant les Pestiférés de Jaffa) [After (Bonaparte Visiting the Plague Victims of Jaffa)] refers to the painting by Antoine-Jean Gros, pupil of Jacques-Louis David, whose work takes on the dimension, like a motif hidden under this faux wallpaper, of an even older layer of history, that of French dominion over the country. Chapters of history and stories are interwoven. The artist’s own journey from Sète to the Moroccan port allowed him to plunge into the imaginatio­n that the city has embodied for centuries for so many artists who, like him, came from the West, and whose cheap orientalis­m, fantasies and stereotype­s he mordantly reveals. Conceived as a sort of time machine, his exhibition suggests a powerful hypothesis: the traces of history, whether marks of violence or love, emerge best when we proceed backwards, in the manner of Cocteau’s Orpheus; or the film Casablanca, which the artist has edited completely backwards. We also come across clocks exhibited like a cabinet of curiositie­s, photos of Jean Genet’s tomb, on which a young man declaims poems, and Renaud Camus, an ultra-reactionar­y theorist, caught in his own trap: the artist went to his home to ask him for a dedication to Nelson Dryer, Paul Bowles’ hero who fled Europe for the Maghreb—in other words, the exact opposite of the “great replacemen­t” professed by Camus. The other exhibition, of Luigi Serafini’s work, is also based on a Mediterran­ean, baroque, fantastic imaginatio­n. From the mysteries of the tuna route to a fascinatin­g “carrot woman”, the strange creatures of the Italian master draw the contours of a limitless world, a nature to be deciphered with enchantmen­t, like an open book. At the heart of the device is the mythical Codex, the alphabet invented by the artist in 1976, untranslat­able and therefore universal, “which makes us all illiterate and therefore equal”, as the exhibition curator, Marie de Brugerolle, reminds us. It is ultimately her poetic, delicate gaze, her creativity, as much as her rigour, that makes these two exhibition­s remarkable.

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Than Hussein Clark. « Ms. Hutton or The Wilted Tulip ». 2020. Vue de l’exposition / exhibition view « A Little Night Music (And Reversals) ». (Ph. Marc Domage)

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