ANNEMASSE
Villa du Parc / 5 septembre - 20 décembre 2020
Parmi la large sélection de travaux d’Alexandra Leykauf (Allemagne, 1976) présentée à la Villa du Parc, deux petites vidéos introduisent merveilleusement au meilleur de son oeuvre. Dans la première, l’artiste plie dans le sens de la longueur la reproduction d’un paysage peint au 19e siècle par Martin Johnson Heade. Lentement, ce coucher de soleil sur le port de Rio se déforme, une profondeur inattendue se crée et les plantes du premier plan prennent un étonnant relief. Dans la seconde, intervenant cette fois dans un catalogue d’exposition de Ferdinand Hodler préalablement découpé, elle soulève la reproduction d’un paysage pour révéler celui qui figure en dessous et jouer d’effets de superposition, rupture et continuité. Les gestes sont simples et économes mais définissent des espaces complexes où l’anamorphose et le changement d’échelle le disputent à la collision et au tressage des images. En témoignent, dans l’exposition, plusieurs grandes structures cruciformes ou zigzaguantes sur lesquelles sont collées des agrandissements photographiques de maquettes, dont le plan est similaire aux structures mais la taille plus réduite, sur lesquelles l’artiste avait déjà fixé des reproductions de paysages et des vues de son atelier. Le saisissant effet de mise en abîme d’espaces enchâssés est renforcé par le jeu avec les salles de la Villa du Parc dont la domesticité rappelle celle de l’atelier de Leykauf. Ces installations poursuivent des travaux déjà anciens sur l’espace intérieur, le décor et leur perception, comme la Salle noire au Musée d’art moderne de Paris en 2010. Le second fil de l’exposition est, on l’aura compris, le paysage et sa représentation. Dans les structures, balançant entre espace réel et figuré, intérieur et extérieur, ces deux fils sont étroitement liés. Ainsi, recouvrant l’installation Lac Léman I et II – Studio, réalisée pour l’exposition, le télescopage de reproductions de peintures du lac Léman souligne combien la perception du paysage est affaire de mémoire où interfèrent les représentations que l’on a pu en voir. Ailleurs, dans des travaux qui n’ont pas la densité de ces installations, l’image est soumise à d’autres interventions qui prolongent ce rapport intime au paysage : sur le principe de la paréidolie, les Faces (2019-20) sont des visages que Leykauf révèle dans les paysages des maîtres de la peinture ; plus loin, les empreintes par photogramme de vêtements de l’artiste, sur un grand drap de velours posé au sol, dessinent un paysage vu du ciel auquel fait écho un film qui navigue dans des images aériennes ; à l’étage, une vidéo montre une série de petits films scrutant des tableaux diffusés sur un smartphone posé sur les jambes de l’artiste... Pour reprendre une appellation chère à la directrice des lieux, Garance Chabert, Leykauf est une « artiste iconographe », mais son geste d’appropriation des images des autres est à entendre au sens fort du terme : elle ne les emprunte pas, elle les fait siennes.
Étienne Hatt
——— Among a wide selection of works by Alexandra Leykauf (Germany, 1976) presented at the Villa du Parc, two short videos provide a wonderful introduction to the best of her work. In the first, the artist folds lengthwise the reproduction of a landscape painted in the 19th century by Martin Johnson Heade. Slowly, this sunset over the port of Rio de Janeiro is distorted, an unexpected depth is created and the plants in the foreground take on a surprising relief. In the second, this time intervening in a previously cut-out catalogue for a Ferdinand Hodler exhibition, she lifts up the reproduction of a landscape to reveal the one below and plays with effects of overlapping, interruption and continuity. The gestures are simple and economical, but define complex spaces where anamorphosis and rupture of scale compete with the collision and weaving of images. This is demonstrated in the exhibition by several large cruciform and zigzag structures on which are glued photographic enlargements of models, the layout of which is similar to the structures but smaller in size, on which the artist had already fixed reproductions of landscapes and views of her studio. The striking mise en abîme effect of embedded spaces is reinforced by the interplay with the rooms of the Villa du Parc, the domesticity of which is reminiscent of that of Leykauf’s studio. These installations continue work that has already been done on the interior space, décor and their perception, such as the La Salle Noire [The Black Room] at the Musée d’art moderne de Paris in 2010. The second thread of the exhibition is, of course, landscape and its representation. In the structures, balancing between real and figurative space, interior and exterior, these two threads are closely linked.Thus, covering the installation Lac Léman I & II—Studio, created for the exhibition, the telescoping of reproductions of Lake Geneva paintings underlines how much the perception of landscape is a matter of memory, where the representations we have seen of it interfere. Elsewhere, in works that don’t have the density of these installations, the image is subjected to other interventions that prolong this intimate relationship with the landscape. On the principle of pareidolia, the Faces are faces that Leykauf reveals in the landscapes of the masters of painting; further on, the photogrammed prints of the artist’s clothes on a large velvet sheet laid on the ground draw a landscape seen from the sky, echoed by a film that navigates through aerial images; upstairs, a video shows a series of short films scrutinising paintings broadcast on a smartphone placed on the artist’s legs... To use a name dear to Garance Chabert, director of the premises, Leykauf is an “artist as iconographer”, but her gesture of appropriating the images of others is to be understood in the strong sense of the term: she doesn’t borrow them, she makes them her own.