Désamour Falling out of Love Étienne Hatt
Si la dernière édition de la Fiac n’avait pas été annulée, on aurait sans doute remarqué, comme les années précédentes, combien les photographies étaient rares sur les cimaises des galeries. Indéniable aujourd’hui, ce constat aurait été impensable il y a 20 ans quand la photographie semblait être l’art contemporain, du moins l’une des voies de son renouvellement. Remontant aux décennies antérieures, le mariage de la photographie et de l’art contemporain fut jalonné d’expositions dont l’une des principales fut, en France, Ils se disent peintres, ils se disent photographes à l’ARC, à laquelle un dossier est consacré dans ce numéro à l’occasion de son quarantième anniversaire. Le divorce entre l’art contemporain et la photographie a-t-il depuis fini par être prononcé ? Parler en ces termes serait excessif. Pour en rester aux galeries, celles généralistes continuent à défendre des photographes ou des artistes utilisant la photographie. Mais, à quelques exceptions près (20 % des artistes chez Xippas, un tiers chez Christophe Gaillard), les uns comme les autres sont plus souvent réduits à la portion congrue. Peut-être ont-ils été remplacés par des peintres faisant dorénavant de la peinture la grande pourvoyeuse d’images artistiques ? Ce serait d’autant plus ironique que bon nombre d’entre eux travaillent aujourd’hui d’après photographies. À « divorce », il faudrait donc préférer « désamour ». Il est plutôt le fait de l’art contemporain et il est tout aussi paradoxal que l’amour que celui-ci portait à la photographie. Ces noces avaient en effet fini par se sceller autour de formes documentaires issues d’usages non artistiques de la photographie et, aujourd’hui, ce désamour est contemporain de l’essor de recherches photographiques expérimentales et plastiques dont la richesse justifiait la récente série d’expositions la Photographie à l’épreuve de l’abstraction organisée par le Frac Normandie Rouen, le Centre photographique d’Île-de-France et le centre d’art Micro-Onde. Ainsi, pour reprendre les mots de l’historien Michel Poivert, la photographie contemporaine n’est plus contemporaine de l’art contemporain. Est-ce grave ? Au contraire, on peut y voir une opportunité, celle d’un regard libéré d’une sujétion de la photographie à l’art qui le rendait partiel et partial, d’un regard plus riche et plus juste sur les images qui nous entourent. On pourrait prendre l’exemple de la photographie anonyme, mais celui de la photographie scientifique est tout aussi convaincant. Depuis les avant-gardes, ses images et ses dispositifs n’ont cessé d’être repris par les artistes et, comme certaines photographies scientifiques sont d’une beauté parfois inégalable, on peut aisément n’en avoir qu’une lecture formelle. Mais cette dernière ne doit pas faire oublier que ces images sont avant tout porteuses d’une histoire des savoirs et des techniques. Le négliger, c’est risquer de prendre des vessies pour des lanternes. Or, tout particulièrement aujourd’hui, que l’on parle d’oeuvres d’art ou du tout venant des images, il est impérieux de savoir faire la différence.
Étienne Hatt
En raison des circonstances, de la fermeture temporaire des lieux d’art et du report des expositions, nous réunissons à nouveau en un numéro double nos sommaires de décembre et janvier. Merci pour votre compréhension et votre fidélité. If the last edition of the Fiac hadn’t been cancelled, it would probably have been noticed, as in previous years, how rare photographs were on the gallery partitions. Undeniable today, this observation would have been unthinkable 20 years ago, when photography seemed to be contemporary art, or at least one of the paths of its renewal. Going back to previous decades, the marriage of photography and contemporary art was marked by exhibitions, one of the main ones in France being at the ARC, Ils se disent peintres, ils se disent
photographes [They CallThemselves Painters,They CallThemselves Photographers], to which a section of this issue is devoted on the occasion of its fortieth anniversary. Has the divorce between contemporary art and photography finally been pronounced since then? To speak in these terms would be excessive. As far as galleries are concerned, generalist ones continue to defend photographers and artists using photography. But, with a few exceptions (20% of artists at Xippas, a third at Christophe Gaillard), they are more often reduced to the bare minimum. Perhaps they have been replaced by painters, henceforth making painting the great purveyor of artistic images? This would be all the more ironic since many of them now work from photographs. Instead of “divorce”, one should therefore refer to a “falling out of love”. This is rather on the part of contemporary art, and just as paradoxical as the love it had for photography. Indeed, the nuptials had ended up being sealed around documentary forms resulting from non-artistic uses of photography and today this disenchantment is contemporary with the development of experimental and artistic photographic research, the richness of which justified the recent series of exhibitions: la Photographie à l’épreuve de l’abstraction [What Abstraction Does to Photography], organised by the Frac Normandie Rouen, the Centre photographique d’Île-de-France and the Micro-Onde art center. Thus, in the words of historian Michel Poivert, contemporary photography is no longer contemporary with contemporary art. Is this serious? On the contrary, we can see in it an opportunity, that of a gaze liberated from the subjection of photography to art that made it biased and partial, of a richer and more accurate view of the images that surround us. We could take the example of anonymous photography, but that of scientific photography is just as convincing. Since the avant-gardes, its images and devices have been constantly taken up by artists and, as some scientific photographs are of a sometimes incomparable beauty, one can easily have only a formal reading of them. However, this shouldn’t make us forget that these images are above all bearers of a history of knowledge and techniques. To neglect this is to risk seeing the moon as green cheese. Yet, especially today, whether talking about works of art or images all and sundry, it is imperative to know how to make a distinction.
Étienne Hatt Translation: Chloé Baker Due to circumstances, the temporary closure of the art venues and the postponement of exhibitions, we are once again bringing together in a double issue our December and January contents. Thank you for your understanding and loyalty.