Daniel Aulagnier, Olivier Corpet, Jean-Philippe Guinle, Pierre Nahon Jacques Henric et Catherine Millet
Durant cette sinistre année 2020 qui se termine, nous avons déploré la mort de plusieurs amis proches de la revue (aucun mort de la Covid, d’ailleurs) et auxquels les décalages de parution dus au confinement et à ses conséquences ne nous ont pas permis de rendre hommage immédiatement, à l’exception de Pierre Guyotat dans notre numéro d’avril. Cette page leur est consacrée.
JEAN-PHILIPPE GUINLE
Notre ami Jean-Philippe Guinle, fidèle collaborateur d’artpress, est mort le 16 mars à l’âge de 84 ans. Auteur d’une thèse sur Hegel, il enseigna l’histoire des idées politiques et de la philosophie du droit à la faculté Jean Monnet Paris X et le droit canonique à l’Institut catholique de Paris. Les liens de parenté de sa famille remontent à Maître Eckhart. Son père, poète, publia dans la NRF, fréquenta Jacques Rivière et Alain Fournier, fut proche de Jean Giraudoux ; sa mère, issue de la Schola Cantorum, fit baigner tôt le jeune Jean-Philippe dans le milieu musical. Ce dernier débuta, précocement, une riche carrière de compositeur dans la tradition de la seconde école de Vienne : cycles de mélodies, concerti pour violoncelle, messe wisigothique, ballets, un grand opéra Alraune qui attend d’être créé. En parallèle de son activité musicale, Jean-Philippe Guinle a poursuivi son activité de philosophe. Grand lecteur de Heidegger, son amitié avec Jean Beaufret l’a conduit, depuis Estagel, son village d’origine, à nouer un lien avec le philosophe allemand et avec les meilleurs de ses commentateurs français, dont François Fédier.
DANIEL AULAGNIER
Daniel Aulagnier est décédé brutalement le 16 juin à l’âge de 77 ans. Quelques jours auparavant, il nous avait écrit pour nous proposer son aide : qu’est-ce que lui, en tant qu’artiste, pouvait faire pour aider la revue dans cette période tellement difficile ? Depuis de nombreuses années, nous suivions son travail qui mêlait performance, invention de machines improbables et dessin, notamment au feutre et au stylo bille. C’était aussi un graveur passionné qui avait participé activement à l’Urdla. Il traitait avec beaucoup d’humour du rapport du corps à la machine et, longtemps professeur à l’École nationale supérieur d’architecture de Paris-Belleville, s’était particulièrement intéressé au rapport entre art et architecture. Ces dernières années, il avait exposé à Mons, lorsque la ville avait été capitale européenne de la culture, et nous avions récemment encore rendu compte de son exposition à la galerie Marguerite Milin en 2019.
PIERRE NAHON
Quand on dit « ami », c’est vraiment le mot qui convient pour parler de Pierre Nahon qui, né en 1935, est mort le 9 septembre. Il y a longtemps, alors qu’artpress traversait une période difficile et que certains avaient cru pouvoir faire main basse sur la revue en écartant sa rédaction, Pierre, qui avait été sollicité pour participer à cette opération, est celui qui nous avait immédiatement prévenus de ce qui se tramait. Très jeune et très ardent collectionneur – nous avons admiré chez lui un des plus beau Picabia qui soit –, il était devenu progressivement, en compagnie de sa femme Marianne, un acteur important du monde de l’art. D’abord publicitaire, il avait réalisé des films sur des artistes avant d’ouvrir en 1973, en association avec Patrice Trigano, la galerie Beaubourg. Aventure que Marianne et lui poursuivront jusqu’à la transplanter dans une très grande propriété, le château de Notre-Dame des Fleurs à Vence. Leur très importante collection comprend alors, outre des oeuvres d’art moderne et contemporain, du design, tels des meubles de Bugatti, et de l’art primitif. Elle sera dispersée par Sotheby’s. Pierre Nahon fut le marchand des nouveaux réalistes Arman et César, mais aussi le très fidèle défenseur de personnalités singulières : Dado, Bernard Dufour, Pierre Klossowski. Il aimait
Olivier Corpet les livres, en publia et en écrivit, notamment un consacré à ses prédécesseurs et à ses confrères, les Marchands d’art en France (La Différence,
1998).
OLIVIER CORPET
Olivier Corpet est mort le 6 octobre des suites d’une très longue maladie orpheline qu’il affronta avec un courage inouï. Il était né en 1949, dans une famille qui lui donna le goût des archives, car il ne se passionna pas pour la littérature et la philosophie sans se préoccuper de leurs traces. En 1985, il fut l’un des co-fondateurs, au sein de la Maison des sciences de l’homme, de l’association Ent’revue, bientôt éditrice de la Revue des revues. Mais son grand oeuvre, il le réalisa en 1988 en fondant l’Imec, Institut mémoires de l’édition contemporaine, qui recueille les archives d’écrivains (Althusser, Céline, Genet, Robbe-Grillet…), d’éditeurs (Albin Michel, Christian Bourgois, Hachette, Le Seuil…), de revues (celles d’artpress y sont déposées). Avec l’appui de Jack Lang, il put en 1995 installer l’Imec dans la magnifique Abbaye d’Ardenne, près de Caen, paradis pour les chercheurs. C’est Nathalie Léger qui lui succéda en 2013 à la direction lorsque la maladie finit par l’empêcher de continuer son travail. Il était un spécialiste de l’oeuvre de Robbe-Grillet, édita les oeuvres posthumes de Louis Althusser, et c’est lui qui eut l’idée de notre collection « Les Grands Entretiens d’art press », éditée d’abord en collaboration avec l’Imec.