Émilie Notéris
Alma Matériau
Paraguay Press, 228 p., 15 euros
Alma Matériau commence par une longue énumération des prénoms de différentes artistes, où on reconnaît vite Claude, Josephine, Meret, Annette, Ulrike ou Janine ; or il n’est pas question d’une litanie des états civils, mais bien du « pourquoi » de toute création. Pourquoi se raser le crâne, danser vêtue d’une jupe de bananes, sculpter de la fourrure, photographier des braguettes, tirer à l’arc sur une image de Madone, se lover dans une baignoire remplie de saindoux. Année après année, des femmes ont agi, ont refusé d’être d’agréables muses, et ont donné un peu de force à celles qui arrivaient après. Il est ici question de proximité, d’appropriation (voire de cannibalisme amoureux), de généalogies choisies : la figure traditionnelle et paternaliste du mentor est mise de côté pour imaginer de possibles maternités artistiques, perçues dans un sens élargi qui viendrait dépasser le présupposé biologique. La maternité, qu’Émilie Notéris refuse de voir récupérée par des courants passéistes, est érigée en subversion. Même si le texte se révèle parfois difficile à suivre en raison des nombreuses descriptions d’oeuvres non reproduites et de l’usage de termes peut-être un peu trop rebattus ces derniers temps (rhizome, constellation…), il s’avère particulièrement efficace pour nous entraîner dans l’histoire de lignées féminines. Et ce, non sans dissensions – comme chez Faith Ringgold, sa mère Willi Posey et sa fille Michele Wallace. Alma Matériau est surtout un éloge de la capacité de la fiction à permettre une véritable émancipation, en se concluant par les mots magnifiques d’Audre Lorde sur la façon dont sa mère transformait les brimades racistes qu’elle vivait enfant en un autre récit moins insoutenable : « Si vous ne pouvez pas changer la réalité, changez la perception que vous en avez. »
Camille Paulhan