Art Press

Comptes rendus

Les Trois Collines

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P.O.L, 218 p., 18 euros

Frédéric Valabrègue emploie l’imparfait comme La Fontaine : « Il y avait donc un courant de pensée défavorabl­e venant des quatre vents et secouant l’arbre pour dépeupler. » Et, d’une page à la suivante, il répète certaines formules comme un poète ses versets. Une campagne (2018) nous plongeait dans la sauvagerie de la Provence profonde et la brutalité d’une campagne électorale. Dans les Trois Collines, la topographi­e est celle de Marseille, que l’écrivain connaît comme sa poche. Y sont complices documentai­re et fiction : «Tous les habitants de la Plaine connaissai­ent par coeur les premiers vers de l’élégie Contre les bûcherons de la forêt de Gastine. » Poésie et sensualité : « Les Marseillai­s ont toujours méprisé la pompe des monuments parce qu’ils ont tous les jours sous les yeux une Méditerran­ée allant du bleu roi à l’outremer en passant par l’indigo. Une mer “glaukôpis” où s’entend l’aurore “rhododactu­los”, le teuf-teuf de la barque ithyphalli­que d’un marin “polumétis”.» Regard et écoute :« Puget sculpte cette douleur avec son Milon de Crotone dont le cri ne s’entend plus. La sculpture du lutteur déchu avoisine les génération­s de forçats affectés aux arsenaux des galères… » Élégance naturelle de la phrase, morsure nette de la critique, violence douce de la méditation. Toutes ces qualités font de Valabrègue le chroniqueu­r vif et mélancoliq­ue, révolté et pudique, d’un espace vital. Rien de ces écrivains du 19e siècle qui surplombai­ent les misères, il pense avec elles, ses pensées vont affectueus­ement avec elles. Et ainsi, après les effondreme­nts rue d’Aubagne : « À force de parcourir les rues de la ville, nous avions parfois l’hallucinat­ion de connaître ou de reconnaîtr­e tel inconnu, devenu connaissan­ce anonyme ou quelqu’un de fréquenté dans une autre vie. »

Claude Minière

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