L’Homme gris
Casino Luxembourg / 14 novembre 2020 - 31 janvier 2021
Casino Luxembourg / 14 novembre 2020 - 31 janvier 2021
Le Diable et ses apparitions contemporaines. C’est là un excellent sujet pour cette exposition qui vient compléter en quelque sorte l’ouvrage Infernal de Demetrio Paparoni récemment paru (Cernunnos, 2019). Son commissaire, Benjamin Bianciotto, réunit ici les oeuvres d’une vingtaine d’artistes autour de cette idée que le Diable se fond désormais dans la foule, privilégiant l’anonymat à la flamboyance du costume écarlate. Ce qui ne le rend pas moins dangereux, bien au contraire. Moins visible et néanmoins très présent, surtout ces derniers temps. C’est aussi à l’homme gris que Peter Schlemihl, personnage principal d’une nouvelle d’Adelbert von Chamisso, vend son ombre comme Faust cède son âme au Diable. Nombre d’entre nous sont amenés à sceller des pactes faustiens au cours de leur vie. C’est ainsi que Christoph Büchel a vendu sa participation à Manifesta 4 à Francfort en 2002 pour la modique somme de 150 euros. Son oeuvre fut remplacée par celle de l’acheteur. J’ai pourtant visité cette exposition, je n’y ai vu que du feu. L’homme gris est décidément discret. Dans une première grande salle, les poupées mannequins inquiétantes, et quelque peu surréalisantes, de Gisèle Vienne sont posées face aux tableaux d’Iris van Dongen, euxmêmes accrochés sur une tapisserie arborant les mêmes motifs floraux. D’inspiration symboliste et persane (Joséphin Peladan n’est pas loin), ils représentent une jeunesse vénéneuse où plane parfois l’ombre de Méphistophélès. Sur un arrière-plan écologique, la Sud-Africaine Bianca Bondi élabore des agencements d’objets magiques qui sont comme de petits autels vaudous, avec cette idée que le Diable engage l’homme à détruire son environnement. Presque à son insu. Bianciotto cite à ce propos Baudelaire : « La plus belle ruse du Diable est de vous faire croire qu’il n’existe pas. » Élodie Lesourd, dont on connaît davantage les grands tableaux rock, réalise ici un mural de rayures qui reprend les couleurs des divers démons dans la fresque de Luca Signorelli à la cathédrale d’Orvieto. Elle rend le mal un peu plus abstrait. Christine Borland a, quant à elle, demandé à six sculpteurs de représenter le médecin nazi Josef Mengele d’après une approximative photo d’archive. Réputé beau et charmeur, Mengele était surnommé « l’ange de la mort ». L’exposition s’achève sur une série de dessins de Jérôme Zonder consacrés à Pierre-François, poète escroc dans les Enfants du paradis de Marcel
Carné, personnage récurrent chez Zonder, et depuis longtemps. Les visages sont colonisés de scènes monstrueuses qui en disent long sur la psychologie des portraiturés. Sur le chemin du retour de l’exposition, on relit le Paradis perdu de John Milton. Lucifer en est le héros, et le désir de vengeance dicte tous ses actes. En ce qu’ils se diluent dans la population, les diables contemporains, qu’ils soient djihadistes ou néonazis sont beaucoup moins repérables.
Richard Leydier
——— The Devil and his contemporary manifestations.This is an excellent subject for this exhibition, which in a way complements Demetrio Paparoni’s recently published work Infernal (Cernunnos, 2019). Its curator, Benjamin Bianciotto, brings together the works of some twenty artists around the idea that the Devil now blends in with the crowd, preferring anonymity to the flamboyance of the scarlet costume. This doesn’t make him less dangerous, quite the contrary: less visible and yet very present, especially in recent times. It is also to the grey man that Peter Schlemihl, the main character in a short story by Adelbert von Chamisso, sells his shadow, just as Faust yields his soul to the Devil. Many of us are led to seal Faustian pacts in the course of our lives.Thus Christoph Büchel sold his participation in Manifesta 4 in Frankfurt in 2002 for the modest sum of 150 euros. His work was replaced by that of the buyer. Yet I visited this exhibition, and didn’t twig on. The grey man certainly is discreet.
In a large first room Gisèle Vienne’s disturbing and somewhat surrealized mannequin dolls are displayed in front of Iris Van Dongen’s paintings, themselves hung on a tapestry with the same floral motifs. Of symbolist and Persian inspiration (Joséphin Peladan isn’t far away), they represent a poisonous youth, where the shadow of Mephistopheles sometimes hovers. On an ecological background, the South African Bianca Bondi elaborates arrangements of magical objects that are like small voodoo altars, with the idea that the Devil urges humankind to destroy its environment. Almost without his knowing it. Bianciotto quotes Baudelaire: “The Devil’s most beautiful trick is to make you believe that he doesn’t exist.” Élodie Lesourd, whose large rock paintings are better known, creates here a mural of stripes that takes up the colours of the various demons in Luca Signorelli’s fresco in Orvieto Cathedral. She makes evil a little more abstract. Christine Borland asked six sculptors to represent the Nazi doctor Josef Mengele from an indistinct archive photo. Mengele was nicknamed “the angel of death” because he was handsome and charming.The exhibition closes with a series of drawings by Jérôme Zonder devoted to a poet and con artist in Marcel Carné’s Children of Paradise, Pierre-François, a recurring character in Zonder’s work. The faces are colonized by monstrous scenes that say a lot about the psychology of the portrayed. On the way back from the exhibition, we reread John Milton’s Paradise Lost. Lucifer is the hero, and the desire for revenge dictates all his actions. By blending into the crowd, contemporary devils, whether jihadists or neo-Nazis, are much less noticeable.