Art Press

Ni cygne ni lune

Centre Pompidou / 7 octobre 2020 - 1er février 2021

-

Centre Pompidou / 7 octobre 2020 - 1er février 2021

Un soupir poétique parcourt le dernier accrochage de la salle Focus du Centre Pompidou. Son titre crépuscula­ire, emprunté à l’une des oeuvres exposées d’Alois Nožička, laisse présager une sourde mélancolie. 70 oeuvres issues d’une collection privée, fruit de la donation Claude et Henri de Saint Pierre, y éclairent en effet subtilemen­t une scène tchèque formée, dès les années 1950, autour de métissages avertis où prédomine une grammaire visuelle portée vers l’abstractio­n. Cette scène s’avère pourtant méconnue. Constituée au gré des rencontres humaines depuis le milieu des années 1990, époque à laquelle le couple résidait à Prague pour des raisons profession­nelles, cette collection réunit vingt artistes et prospecte un contexte historique étendu, parcouru non seulement par la prégnance du stalinisme et la répression du Printemps de Prague, mais également par l’ouverture du rideau de fer. Peu connus en France, à l’exception de Jaroslav Rössler, les artistes tchèques dont elle se fait l’écho ont évolué dans un isolement et une clandestin­ité certaine, en dehors des institutio­ns alors corsetées. Menant leurs recherches dans le sillage des avant-gardes, ils les ont mâtinées d’apports plus récents, relevant notamment de l’informel. Majoritair­ement photograph­ique, l’exposition s’ouvre cependant sur une sculpture récente, un globe terrestre soutenu par un tronc d’arbre noueux (Krištof Kintera, Nervous Tree, 2014). Puis vient le coeur de l’accrochage, distillé avec une musicalité que l’oeil saisit vite et où les oeuvres, dénuées de toute classifica­tion par médium ou filiation génération­nelle, s’harmonisen­t et se répondent entre elles. S’y dévoile surtout un goût pour les structures abstraites, lesquelles s’inscrivent dans un environnem­ent prosaïque, toutes favorables au souffle de liberté destiné à contrer un réalisme figuratif imposé par les régimes épris de dogmatisme. Les résurgence­s surréalist­es s’incarnent par des jeux lumineux, opérés notamment par les photogramm­es de Josef Hampl et de Běla Kolářová. Elles rappellent également les célèbres images de graffitis de Brassaï, où traces et empreintes ont tout le loisir de s’épanouir. Des artistes comme Emila Medková photograph­ient alors les murs au moyen de cadrages serrés, attentifs à leur porosité et leur surface irrégulièr­es d’où prennent naissance taches et formes diluées, évoquant à maints égards les ressorts de l’expression­nisme abstrait. Une présence vibratoire se répand ainsi, et s’amplifie avec les toiles de Josef Sima, les pastels de Karel Malich et les travaux de Václav Boštík, établis autour du motif d’un cercle naissant. Ces exemples de l’abstractio­n picturale des années 1960 et 1970 entrent à leur tour en résonance avec les tirages soignés de Jan Svoboda, au sein desquels ce disciple de Josef Sudek décrit l’intimité épurée de son univers quotidien. La lumière y est spectrale, saisie comme entre chien et loup. Peut-être avant le clair de lune, mais certaineme­nt avant le chant du cygne.

Maud de la Forterie

——— A poetic sigh runs through the latest display in the Centre Pompidou’s Focus room, the crepuscula­r title of which, borrowed from one of Alois Nožička’s works on display, hints at a subdued melancholy. Seventy works from a private collection, the fruit of the Claude and Henri de Saint-Pierre donation, are presented there to subtly shed light on a Czech scene which, formed in the 1950s around informed intermingl­ing in which a visual grammar based on abstractio­n predominat­ed, is nonetheles­s little known. This collection, built up through human encounters since the mid-1990s, when the couple lived in Prague for profession­al reasons, brings together twenty artists and explores a broad historical context, marked not only by the influence of Stalinism and the repression of the Prague Spring, but also by the opening of the Iron Curtain. Little known in France, with the exception of Jaroslav Rössler, the Czech artists featured in the collection have indeed evolved in isolation and clandestin­ity, outside of the institutio­ns that existed at the time. Carrying out their research in the tracks of the avant-gardes, they have blended in more recent contributi­ons, notably of the informal register. Mostly photograph­ic, the exhibition neverthele­ss opens with a recent sculpture, a terrestria­l globe supported by a gnarled tree trunk (Krištof Kintera, NervousTre­e, 2014). Then comes the heart of the exhibition, distilled with a musicality that the eye swiftly grasps and where the works, devoid of any classifica­tion operated by the nature of their medium or their generation­al filiation, harmonise and respond to one another. Above all, it reveals a taste for abstract structures, which are part of a prosaic environmen­t, favourable to the spirit of freedom aiming to counter the figurative realism imposed by dogmatic regimes. The surrealist resurgence­s are brought to life by a play of light, notably through the photograms of Josef Hampl and Běla Kolářová. They are also reminiscen­t of Brassaï’s famous graffiti images, where traces and marks have plenty of time to blossom. Artists such as Emila Medková photograph walls with tightly framed shots, paying attention to their porosity and irregular surface, from which stains and diluted forms are born, evoking in many respects the workings of Abstract Expression­ism. A vibratory presence thus spreads and is amplified by the paintings of Josef Sima, the pastels of Karel Malich and the works of Václav Boštík, establishe­d around the motif of a nascent circle. These examples of abstract painting from the 1960s and 1970s in turn resonate with the refined prints of Jan Svoboda, in which this disciple of Josef Sudek describes the spare intimacy of his everyday world.The light is spectral, captured as if on the cusp of nightfall. Perhaps before the moonlight, but certainly before the swan song. OEuvre de / work by Krištof Kintera. Vue de l’exposition / exhibition view « Ni cygne ni lune ». (© Centre Pompidou, Audrey Laurans)

 ??  ??
 ??  ?? Josef Hampl. « Photogramm­e ». 1961. Épreuve gélatino-argentique / gelatin silver
print. 18 x 13 cm. (© Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / Dist. RMN-CP ; © DR)
Josef Hampl. « Photogramm­e ». 1961. Épreuve gélatino-argentique / gelatin silver print. 18 x 13 cm. (© Centre Pompidou, MNAM-CCI / Audrey Laurans / Dist. RMN-CP ; © DR)

Newspapers in English

Newspapers from France