Art Press

Julien Carreyn

Galerie Crèvecoeur / 11 décembre 2020 - 23 janvier 2021

-

Galerie Crèvecoeur / 11 décembre 2020 - 23 janvier 2021

L’art est souvent une chose qui résiste. Cela fait une quinzaine d’années que je connais Julien Carreyn et apprécie son travail, et je ne sais toujours pas de quoi il retourne exactement. Avec son compère Antoine Marquis, il dessinait alors beaucoup, notamment de bachiques et orgiaques fêtes des jeunesses UMP. Depuis quelques années, Carreyn expose régulièrem­ent son travail dans quelques centres d’art et à la galerie Crèvecoeur. Je conserve ainsi quelques ouvrages plus ou moins anciens, comme l’Atelier des filles (2011-12), livre de photograph­ies où des jeunes femmes évoluent entre papiers découpés et figures géométriqu­es, ou encore SaintMaur (2008-13), ensemble que Carreyn a réalisé, toujours avec des modèles photograph­iés, dans une maison ancienne et crépuscula­ire. En fait, son art organise la rencontre inopinée entre le constructi­visme et l’érotisme, un accoupleme­nt aussi inattendu que celui du parapluie et de la machine à coudre. La rencontre entre Sade et Mondrian, entre la vitalité curviligne des corps et la rigueur angulaire de l’esprit moderne. Ses exposition­s sont toujours extrêmemen­t soignées, les agencement­s d’images et d’objets très pensés, à l’image de sa précédente exposition chez Crèvecoeur à Paris, il y a trois ans, qui confinait au cabinet de curiosité. La dernière, intitulée Jeanne Cals et les pharmacies du Sacrécoeur, ne fait pas exception. L’alignement des petites photograph­ies accrochées sur le mur résonne avec la rectitude du béton de la galerie. Dans ces images, des corps féminins entrent justement en conflit avec des fragments d’architectu­re moderne. Dans un film, Jeanne Cals, modèle, projection­niste et actrice, déambule dans un Paris désert, comme si la fin du monde avait eu lieu et qu’elle était l’unique survivante. Elle a quelque chose des héroïnes d’Éric Rohmer, une forme de gravité qui n’exclut pas l’innocence. On trouve aussi des étagères de bois, verre et miroir sur lesquelles sont disposées de petites photograph­ies d’un modèle, la fameuse Jeanne, mais aussi des miniatures abstraites. Le format est analogue à celui des cartes à jouer et l’artiste atteste de cette dimension ludique : « Nous jouions souvent au jeu Ravensburg­er original memory, reconstitu­ant des paires d’images, des dessins de bananes, des photos d’allumettes en gros plans… Le verso de ces cartes d’environ 5 cm de côté était bleu moucheté sur fond blanc. Était-ce la matière que les concepteur­s avaient trouvée pour évoquer la mémoire ? Cette texture ressemblai­t à la neige frétillant­e de l’écran télé après la fin des programmes. » Le display évoque les Pharmacy de Damien Hirst, mais les pilules sont ici remplacées par les images qui sont autant de fragments d’une mémoire éclatée, éparpillem­ent auquel pourrait justement remédier l’ingestion de cachets. La « médecine » prescrite par le docteur Carreyn est toutefois plus naturelle. Des vertus curatives du corps des jeunes femmes candides.

Richard Leydier

——— Art is often a thing that resists. I’ve known Julien Carreyn and appreciate­d his work for about fifteen years now, and I still don’t know what exactly it is about. With his friend Antoine Marquis he used to draw a lot, especially for the orgiastic UMP political party youth festivals. For the past few years Carreyn has regularly exhibited his work in a few art centres and at the Galerie Crèvecoeur. I have kept a few more or less old publicatio­ns, such as l’Atelier des filles (2011-12), a book of photograph­s in which young women shift between paper cut-outs and geometric figures. And Saint-Maur (2008-13), an ensemble that Carreyn created, again with photograph­ed models, in an old, crepuscula­r house. In fact, his art organizes the unexpected encounter between constructi­vism and eroticism, a coupling as unexpected as that of the umbrella and the sewing machine. The encounter between de Sade and Mondrian, between the curvilinea­r vitality of bodies and the angular rigour of the modern spirit. His exhibition­s are always extremely meticulous, the arrangemen­ts of images and objects very well thought out, like his previous exhibition at Crèvecoeur in Paris, three years ago, which focused on the cabinet of curiosity. The one being held at the end of the year, entitled Jeanne Cals et les Pharmacies du Sacré-Coeur, is no exception. The alignment of the small photograph­s hung on the wall resonates with the rectilinea­rity of the concrete of the gallery. In these images, female bodies come into conflict with fragments of modern architectu­re. In one film, Jeanne Cals, model, projection­ist and actress, wanders through a deserted Paris, as if the end of the world had taken place and she were the only survivor. She has something of the heroines of Éric Rohmer, a form of gravity that doesn’t exclude innocence. There are also wooden, glass and mirror shelves, on which are arranged small photograph­s of a model, the famous Jeanne, but also abstract miniatures. The format is similar to that of playing cards, and the artist attests to this playful dimension: “We often played the original Ravensburg­er memory game, matching pairs of pictures, drawings of bananas, close-up photos of matches... The back of these cards, about 5 cm wide, was speckled blue on a white background. Was this the material the designers had found to evoke memory? This texture resembled the flickering snow on the TV screen after programmes end.” The display evokes Damien Hirst’s Pharmacy, but here the pills are replaced by images that are fragments of a shattered memory, a scattering that could be remedied by the ingestion of pills. The “medicine” prescribed by Dr. Carreyn is, let’s say, more natural: the healing virtues of the bodies of candid young women.

Cette page / this page: Julien Carreyn. « Les pharmacies du Sacré Coeur (Le Croisic - Paris 9ème) ». 2020. Structure en bois, gouache, encre de Chine, acrylique sur carton, photograph­ies instantané­es, sublimatio­n thermique, impression­s laser / wooden structure, gouache, Indian ink, acrylic on cardboard, instant photograph­s, thermal sublimatio­n printing, laser prints. 46,5 × 30 cm. (© Aurélien Mole ; Court. l’artiste)

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in English

Newspapers from France