Marking Time: Art in the Age of Mass Incarceration
NEW YORK
MoMA PS1 / 17 septembre 2020 - 4 avril 2021
L’intérêt pour les oeuvres d’art produites dans un environnement carcéral n’est guère nouveau ; on peut citer, par exemple, le volume consacré aux Expressions des prisonniers de Hans Prinzhorn (1926), parent méconnu d’Expressions de la folie (1922). Ce qui fonde cependant la spécificité de Marking Time: Art in the Age of Mass Incarceration, c’est son ancrage dans une actualité brûlante : le meurtre de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter, qui ont conduit la société américaine dans son ensemble à prendre enfin conscience que le combat contre le racisme était loin d’être gagné. Le système judiciaire et pénitentiaire offre un résumé saisissant de ces inégalités, avec une surreprésentation massive des minorités ethniques parmi les détenus, et en particulier des Afro-Américains, si bien qu’on a pu parler de continuation d’une logique esclavagiste par d’autres moyens. Certaines des photographies documentaires présentées dans l’exposition, comme celles de Keith Calhoun et de Chandra McCormick, illustrant le quotidien des détenus du tristement célèbre « Angola Penitentiary » – pénitencier de l’État de Louisiane établi dans une plantation d’avant la guerre de Sécession
où les détenus sont, jusqu’à nos jours, tenus de participer aux travaux des champs – sont à cet égard particulièrement troublantes.
Mais ce qui fait l’indéniable succès de cette exposition, fruit d’un patient travail de recherche entrepris par sa commissaire Nicole R. Fleetwood pendant plus de dix ans, c’est qu’elle ne s’en tient pas à la simple démonstration socio-économique ou historique sur le complexe industrialo-carcéral, aussi implacable soitelle. Il s’agit avant tout de mettre au jour la richesse et la diversité de ces pratiques artistiques. On découvrira ainsi les ready-mades modifiés de Daniel McCarthy Clifford, les sculptures minimalistes et l’art vidéo de Sable Elyse Smith, ou encore les photographies postmodernes de Larry W. Cook. Certaines des oeuvres de l’exposition ont été créées par d’anciens détenus afin de partager leur expérience de l’univers carcéral. Bon nombre d’entre elles ont été créées directement en prison : parfois dans le cadre d’ateliers d’expression bien établis, mais le plus souvent de façon spontanée, comme autant de stratégies de résistance face à la désindividualisation carcérale.
Ce sont peut-être ces oeuvres créées avec les moyens du bord – car il est souvent difficile, voire impossible, pour ces artistes de se procurer du matériel, certaines peintures acryliques étant même interdites en prison – qui constituent une des révélations les plus marquantes de l’exposition. Face à la pénurie de moyens et à la monotonie de l’univers carcéral, ces oeuvres inventent un nouveau langage visuel pour transcender cette expérience : comme, par exemple, l’éloquent autoportrait fragmentaire de Tameca Cole, les sculptures miniatures de Dean Gillispie, ou encore les rêveries érotico-architecturales des dessins de James «Yaya » Hough qui, détournant parfois jusqu’à des formulaires de l’administration pénitentiaire, conjuguent avec virtuosité vision critique de l’enfermement et évasion dans le surréel.
Raphaël Koenig
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Works produced in carceral environments have been on the radar for nearly a century, at least since Hans Prinzhorn’s The Artistry of Prisoners (1926), a lesser-known pendant to his Artistry of the Mentally Ill (1922). However, the exhibition Marking Time: Art in the Age of Mass Incarceration at MoMA PS1 stands out for its relevance in our contemporary context: the murder of George Floyd and the Black Lives Matter movement, which has led American society as a whole to finally acknowledge that the fight against racism was far from over.
The judicial and carceral systems offer a striking summary of these inequalities, with a massive overrepresentation of ethnic minorities among prisoners, and especially of African-Americans, so that the contemporary U.S. prison system could be described as orchestrating a continuation of slavery by other means. Some of the documentary photographs presented in the exhibition, such as those by Keith Calhoun and Chandra McCormick, illustrating the daily life of inmates in the notorious “Angola Penitentiary”—the Louisiana State Penitentiary established on a former pre-Civil War plantation where inmates are, to this day, required to work in the fields—are particularly disturbing in this regard. But the undeniable success of this exhibition—the result of painstaking research undertaken by its curator Nicole R. Fleetwood for more than a decade—results from the fact that its ambition goes far beyond offering a mere socio-economic or historical exposé on the prison-industrial complex, however timely and rigorous it might be. The point of the exhibition is to showcase the richness and diversity of these artistic practices. It allows viewers to discover Daniel McCarthy Clifford’s modified ready-mades, Sable Elyse Smith’s minimalist sculptures and video art, and Larry W. Cook’s postmodern photographs. Some of the works in the exhibition have been created by former inmates as a reflection of their prison experience, but many of them have been produced directly in jail: sometimes in the context of well-established art workshops, but most often spontaneously, as strategies of resistance against carceral deindividualization.
It is perhaps these works created with the means at hand—as it is often difficult, if not impossible, for these artists to obtain art materials, some of which, such as acrylic paint, are even banned in prison – that constitute one of the most striking revelations of the exhibition. As an answer to the material shortages and the sensory monotony of prison, these works invent a new visual language to transcend this experience: such is the case for Tameca Cole’s eloquent fragmentary self-portrait, Dean Gillispie’s miniature sculptures, or the erotic-architectural reveries of James “Yaya” Hough’s drawings (in which he sometimes even repurposes official forms from the prison administration), masterfully combining critical visions of incarceration and visionary flights into the surreal.