Follement drôle
PARIS
Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne / 30 octobre 2020 - 31 mars 2021
Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne / 30 octobre 2020 - 31 mars 2021
Une liberté d’expression usant de caricatures et de dessins d’humour est de la plus haute actualité. En en faisant l’histoire, on ne la trouverait pas seulement dans les archives de journaux satiriques, mais là où on s’y attend le moins : au sein d’hôpitaux psychiatriques. L’esprit moqueur et corrosif, la verve comique de malades internés à différentes époques ont produit des dessins dont la qualité graphique et la causticité stupéfient. La sélection pioche dans deux fonds historiques dont celui créé par Hans Prinzhorn, psychiatre et historien de l’art pionnier de l’approche esthétique des oeuvres de malades mentaux qu’il avait collectées pour son étude Expressions de la folie (1922). Cette dernière intéressa les surréalistes mais servit aussi à illustrer la conception de « l’art dégénéré » des nazis. Mélangeant styles, genres et époques, Follement drôle n’est pourtant pas une pochette-surprise. Y contri
De gauche à droite / from left:
Eduard Paul Kunze. « Sans titre ».
Vers 1913. Crayon, plume à l’encre de Chine, crayon de couleur, gouache sur papier, collage / pencil, Indian ink pen, color pencil, gouache on paper.
20,9 x 16,4 cm.
Paul Goesch. «Trois cochons ». 1919. Gouache, crayon sur papier / pencil on paper. 9,3 x 13,9 cm.(© Sammlung Prinzhorn, Universitätsklinikum Heidelberg) buent l’apport de catégories esthétiques élaborées par la philosophie allemande depuis l’Esthétique du laid (1853) de Karl Rosenkranz et les classifications de l’histoire de l’art : la bouffonnerie, le grotesque aux figures monstrueuses, héritage de la Renaissance revisitant l’antiquité gréco-romaine, la caricature, qui se développa au 19e siècle en France avec Daumier et Grandville. Quelles sont les fonctions de ce comique ? Satire sociale, anticléricalisme et même critique du pouvoir psychiatrique. Enfin, la grivoiserie réunit un enfer de dessins érotiques pervers polymorphes où se glissent avec drôlerie de savoureux fantasmes.
L’absurde, le bizarre, le saugrenu se déchaînent parfois sur un mode surréaliste. Mais le comique est souvent motivé par une volonté d’agression ou de transgression aisément repérable. Voilà qui empêche de réduire ces artistes à un enfermement autiste, de faire de leurs oeuvres l’expression d’un monde dont on ne possèderait pas la clé et dont l’auteur resterait prostré dans un marasme mélancolique. Rire et vouloir faire rire est un mode de communication, une adresse intentionnelle à l’autre comme à soi-même. Le rire est libérateur, il n’a rien d’un ricanement solitaire de mépris. Les personnes qui sont parvenues à exprimer leur vision drolatique du monde ne sont pas drôlement folles, elles ne nous sont pas radicalement étrangères ou aliénées. Follement drôle insiste sur le caractère destructeur d’un humour hors norme et anti-conventionnel qui deviendra au 20e siècle, avec Dada et le surréalisme, un genre apprécié et reconnu au sein de l‘art moderne. « L’humour est une arme d’attaque, un cri affolé dans le désert sans forme du désespoir, une succursale de la panique et de l’insolite », écrivait en 1968 Jacques Sternberg dans sa préface au Chefs-d’oeuvre du dessin d’humour publié chez Pauvert. Parmi les raretés de l’exposition, figurent les dessins d’Oskar Panizza, aliéniste puis auteur de pamphlets et de satires antireligieuses dont le Concile d’amour (1894), qui finit sa vie interné à Bayreuth.
Claire Margat
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Freedom of expression using caricatures and comic drawings is of the utmost topicality. Its history isn’t only to be found in the archives of satirical newspapers, but also where one would least expect it, in psychiatric hospitals. The mocking, corrosive spirit, the comic verve of patients committed at different times have produced drawings the graphic quality and causticity of which are astounding. The selection is drawn from two historical collections, one of which was created by Hans Prinzhorn, a psychiatrist and art historian who pioneered the aesthetic approach to the works of mentally ill people, works he had collected for his study Artistry of the Mentally Ill (1922). The latter was of interest to the Surrealists, but also served to illustrate the Nazis’ conception of “degenerate art”.
Mixing styles, genres and eras, the exhibition Follement Drôle [Insanely Funny] isn’t, however, a surprise package. The contribution of aesthetic categories elaborated by German philosophy since Karl Rosenkranz’s Aesthetics of Ugliness (1853) and the classifications of the history of art: buffoonery; the grotesque with monstrous figures, legacy of the Renaissance revisiting Greco-Roman Antiquity; caricature, which developed in the 19th century in France with Daumier and Grandville. What are the functions of this humour? Social satire, anticlericalism and even criticism of psychiatric authority. Finally, the ribaldry section gathers a hell of polymorphous perverse erotic drawings, where delectable fantasies slip in with comical effect.
The absurd, the bizarre, the outlandish are sometimes unleashed — in a surrealist mode. But the comic is often motivated by an easily spotted desire for aggression or transgression. This prevents these artists from being reduced to autistic confinement, from making their works the expression of a world to which we don’t have the key and the author of which remains prostrate in a melancholy morass. Laughing and wanting to make people laugh is a mode of communication, an intentional address to others as well as to oneself. Laughter is liberating, it has nothing to do with a solitary sneer of contempt. People who have managed to express their droll vision of the world aren’t mad, they aren’t radically alienated or alienated from us. Follement Drôle insists on the destructive character of an unusual and unconventional humour that would become in the 20th century, with Dada and surrealism, a genre appreciated and acknowledged within modern art. “Humour is a weapon of attack, a panicked cry in the formless desert of despair, an offshoot of panic and the unusual”, wrote Jacques Sternberg in 1968 in his preface to Chefs-d’OEuvre du Dessin d’Humour published by Pauvert. Among the rarities of the exhibition are the drawings of Oskar Panizza, an alienist and later author of anti-religious pamphlets and satires, including The Love Council (1894), who spent the rest of his life detained in Bayreuth.