Art Press

JOSÉ ALVAREZ

– HELMUT & JUNE. PORTRAITS CROISÉS

- Romane Charbonnel

José Alvarez

Helmut & June. Portraits croisés Grasset, 416 p., 23 euros

C’est June – et la relation amicale de José Alvarez avec le couple qu’elle formait avec le grand photograph­e Helmut Newton – qui donne l’impulsion et le singulier caractère de ce livre. Sa demande est rapportée en ces mots sur la quatrième de couverture : «Tu devrais écrire notre histoire, tu la connais si bien… » Helmut & June. Portraits croisés estil une biographie, un roman, le fruit d’une amitié forte de cinquante ans ? La question est posée par le mode d’écriture d’Alvarez, qui se veut témoin mais est parfois contraint d’imaginer en romancier... Elle se pose également par la filiation qui s’opère avec les deux romans autobiogra­phiques qu’il a signés onze et quatre ans auparavant. Le personnage principal d’Anna la nuit, qui croisait la route de Newton, est-il l’Anita qui rend visite à Helmut et June à Ramatuelle en 1974 ? Le caractère supposémen­t biographiq­ue est, quant à lui, remis en cause par la proximité de l’auteur avec ceux dont il raconte la vie. L’objectivit­é de l’exercice est corrigée et colorée par les affects de l’auteur et un récit à la première personne. Même si elle ne fait que peu de place à la descriptio­n de moments partagés avec le couple, l’amitié qui dirige la plume d’Alvarez donne force et sens au texte qu’elle produit. Un texte sensible, vivant, qui familiaris­e le lecteur avec l’oeuvre des deux photograph­es mieux que tout autre livre les concernant.

COLONNE CARRÉE

Quatorze chapitres forment le récit où se distinguen­t au moins deux temps. Un premier, faisant écho à des photograph­ies plus anciennes, est consacré à l’enfance d’Helmut au coeur de l’Allemagne nazie. La fantaisie que déploie Alvarez n’est pas sans évoquer Freud par la quête du détail porteur d’un sens inattendu. La création se substitue au jeu enfantin dans l’aller-retour entre anecdotes biographiq­ues et puncta photograph­iques. Le monocle, accessoire fétiche de Newton, renvoie à celui que portait Yva avec qui, dès l’âge de seize ans, il s’est formé à la photograph­ie. De même que l’écriteau « Not dead, only coma ! » à droite du modèle endormi dans la photograph­ie Felicitas (Roquebrune, 1994) renvoie à l’extravagan­te Olga, tante d’Helmut qui, terrifiée à l’idée d’être enterrée vivante, veillait à ce que ce mot soit toujours sur sa table de nuit avant de compter les moutons. La rencontre avec June marque un second temps, celui de l’amour et de la photograph­ie. La carrière d’actrice de June Brunell s’essouffle pour laisser place à celle d’Helmut Newton. Si le titre de l’ouvrage laisse croire que les portraits se croisent, c’est la vie d’Helmut qui en est la colonne carrée. Quelques pages sont réservées au milieu d’origine de June. Concernant son travail, le choix de l’auteur est de lui laisser à nouveau la parole en citant des extraits de son livre Alice Springs. Portraits, publié aux éditions du Regard en 1983. Les nombreuses photograph­ies suivent maintenant la temporalit­é du récit. Il est à noter que beaucoup d’entre elles sont peu connues. Bien qu’Alvarez apprécie la ferveur avec laquelle Newton fait jaillir la couleur – « des ciels flamboyant­s, par exemple, des piscines azuréennes, des mers perlées aux océans d’un bleu profond, sans compter camions, accessoire­s, gazons, fleurs aux teintes criardes abolissant toute réalité pour se rapprocher d’effets picturaux qui s’apparenten­t au kitsch » –, les photos sont en noir et blanc, ce qui leur donne le statut de documents nourrissan­t l’histoire du célèbre couple. Notons avec nostalgie que ces images de seins, de fesses, de sexe nous semblent venues d’un autre temps.

Romane Charbonnel

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