BRUCE BÉGOUT
– LE CONCEPT D’AMBIANCE
Bruce Bégout
Le Concept d’ambiance Seuil, 408 p., 25 euros
Le nouveau livre de Bruce Bégout s’intéresse à une dimension de l’existence humaine qu’il estime fondamentale mais que la philosophie n’aurait, d’après lui, jamais vraiment étudiée pour elle-même : l’ambiance. C’est d’ailleurs là un problème en soi : alors que nous savons intuitivement ce qu’est une ambiance, dans la mesure où ce que nous vivons baigne toujours dans un certain climat – les choses, les êtres, les situations se manifestant à nous sous une tonalité particulière –, nous rencontrons davantage de difficultés lorsqu’il s’agit de thématiser cette notion et d’en faire une catégorie philosophique. Il en va de l’ambiance comme du temps pour Augustin : si personne ne nous interroge à ce sujet, nous savons ce qu’est le temps, puisque nous en faisons l’expérience continuelle. C’est au moment où nous commençons à nous interroger sur son être, en le concevant de manière plus abstraite, qu’il nous échappe et que nous ne savons plus ce qu’il est. Or, dans la mesure où l’ambiance ne se donne pas au sujet à la manière d’une chose ou d’un objet situés face à lui, il est en effet difficile de cerner son mode d’être qui échappe au principe de la détermination et donc de sa possible objectivation : comment, dans cette perspective, trouver les mots adéquats pour rendre compte de ce qui se situe sur le versant pré-réflexif et pré-langagier de l’existence ? Inscrivant sa réflexion dans le cadre de la phénoménologie, Bruce Bégout s’emploie malgré ces obstacles à cerner cette dimension originaire de l’existence dans laquelle nous baignons en permanence : l’ambiance constitue ce milieu, cet être médiat, qui n’est ni un mixte entre le vécu subjectif et l’environnement extérieur, ni même leur point de rencontre, mais ce qui se tient entre eux. Au-delà de l’opposition dérivée du sujet et de l’objet, l’ambiance désigne cette immersion du sujet dans le monde, la manière par laquelle nous expérimentons notre rapport à l’être sur le mode de la co-appartenance : l’ambiance constitue ce fond indifférencié qui forme pourtant la condition même de notre expérience à laquelle elle influe sa tonalité fondamentale et que nous ressentons de manière immédiate par le simple fait d’y être immergé.
Le livre de Bruce Bégout est d’une densité et d’une précision remarquables. Si ses précédents essais traitaient déjà, sous leurs diverses manifestations, des ambiances urbaines dans leur dimension hypermoderne (aussi bien la ville de Las Vegas que les motels américains et les zones aéroportuaires), c’est ici sur un mode très spéculatif qu’il cherche à appréhender la notion d’ambiance, en en faisant ressortir la structure et la phénoménalité spécifiques. Ne cherchant pas à statuer en dernier lieu sur son sens social et politique, comme s’il fallait à tout prix soupçonner dans le rôle central accordé actuellement aux ambiances le produit de l’esthétisation générale de la vie propre au capitalisme tardif mais soucieux d’en cerner d’abord la logique primordiale, Bruce Bégout offre au lecteur un livre précieux : il s’affronte à un problème délaissé par la philosophie traditionnelle et propose plus largement un renouvellement de la démarche phénoménologique. Une phénoménologie qui ne se bornerait pas à saisir le mode d’apparaître des choses dans sa pureté mais porterait son regard sur les phénomènes dans leur inépuisable diversité.
Nicolas Poirier