Art Press

– BERNARD PAGÈS. LE CHANT DES POSSIBLES

- Romain Mathieu

Colin Lemoine (dir.)

Bernard Pagès. Le Chant des possibles Ceysson, 352 p., 120 euros

Une imposante monographi­e parcourt l’oeuvre de Bernard Pagès, sculpteur associé au mouvement Support-Surface.

Engagée dans un important travail éditorial sur les artistes associés au mouvement Support-Surface, la galerie Ceysson & Bénetière publie une imposante monographi­e sur Bernard Pagès. Imposante par sa qualité éditoriale et par sa manière de restituer l’oeuvre de ce sculpteur, des années 1960 à aujourd’hui. La monographi­e rassemble en effet différents textes critiques, un entretien avec l’artiste et un ensemble de documents historique­s constitué de lettres écrites à la fin des années 1960, durant le moment Support-Surface. Mais elle comprend également de très nombreux visuels qui permettent de saisir cette oeuvre dans sa diversité, ses évolutions, tout en percevant les lignes qui dessinent une profonde cohérence au sein de cette démarche. On trouvera ainsi une tentative d’arbre génétique qui relie les différente­s séries du sculpteur. La tentative de clarificat­ion est louable, elle renvoie à la part méthodique et précise de cette oeuvre. Elle trouve cependant ses limites dans un processus où, comme le remarque Colin Lemoine, tout glisse. Entre les Arrangemen­ts, les Assemblage­s, les Colonnes, les Pals, les Acrobates, les Surgeons ou les Échappées, tout se fait par « translatio­ns et hybridatio­ns », révélant quelques « points nodaux » et « points de bascule » : entre l’horizontal­ité et la verticalit­é, la non interventi­on puis la liaison des éléments et par la suite la transforma­tion des matériaux. D’autres contraires se trouvent aussi associés, parfois d’une sculpture à l’autre, d’autres fois à l’intérieur d’une même sculpture : l’épure et la sensualité, le classicism­e et le maniérisme, les « restes », selon le terme utilisé par Maryline Desbiolles, de la société contempora­ine et la convocatio­n de formes et des gestes premiers. Mais faudrait-il s’en étonner puisque « la forme double voire duelle », selon Colin Lemoine, traverse cette oeuvre depuis les premiers Arrangemen­ts qui associaien­t, à la fin des années 1960, matériaux naturels et artificiel­s : paille et IPN, plaque d’égout et pierres...

PERSISTANC­ES

Au fil des pages s’affirment en outre d’autres persistanc­es, peut-être moins évidentes. La première est l’importance de la couleur et la dimension picturale des sculptures. Au point que Pagès, seul sculpteur avec Toni Grand du mouvement Support-Surface, pourrait dire : « Moi aussi, je suis peintre ! ». L’artiste, qui a commencé par pratiquer la peinture, souligne dans l’entretien cette dimension picturale qui se traduit dans la pratique du dessin mais également dans les murs peints et entaillés ou dans les Tôles et Grillages de 2018 -19. Un autre aspect réside dans la relation au lieu et dans une inscriptio­n qui joue un rôle déterminan­t dans le travail de l’artiste. Cette relation est à l’origine du retrait de l’artiste du groupe Support-Surface après les exposition­s en plein air qui, pour les autres artistes, devaient s’accompagne­r d’une autonomie de l’oeuvre. Elle apparaît dans le livre avec un choix d’images qui, plutôt que des vues d’exposition­s, accordent une place importante aux oeuvres dans leur environnem­ent, commandes publiques ou collection­s privées. Parmi ces espaces, se distingue ce terrain, près de Nice, où réside l’artiste, qui grimpe dans la colline sans qu’on sache véritablem­ent s’il s’agit encore d’un jardin ou déjà de la nature sauvage, mais où les sculptures s’intègrent, trouvant leur place sans qu’on ait besoin de définir pour elle un espace.

Il y a chez Bernard Pagès une précision des mots, qu’ils désignent des gestes ou des matériaux. Cette précision se traduit aussi dans les typologies réalisées par l’artiste de 1972 à 1974. Elle préserve le silence où commence la sculpture (ou la poésie, comme l’exprime un article de Denis Roche, ici réédité). Comparant l’oeuvre de Pagès à celle d’artistes américains, Jason E. Smith remarque que ces sculptures excèdent la littéralit­é qui semble présider à leur réalisatio­n : « Les formes qui en résultent, une fois produites, prennent vie d’elles-mêmes, émettant un nuage de sens et de résonances. » En effet, les Échappées, défiant les lisières, semblent en liberté et pas près d’être confinées.

Bernard Pagès. « La grande torse ».

2017. Profilé torsadé et peint, tôle de cuivre froissée et oxydée. 290 x 500 x 400 cm. (Coll. part ;

© Tous droits réservés)

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