Corinne Maury
Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, de Chantal Akerman Yellow Now, 96 p., 12,50 euros
La collection « Coté Film » s’enrichit d’un 42e essai, le premier consacré à une femme cinéaste. L’impact esthétique et politique de Jeanne Dielman, tourné en 1975 par une jeune réalisatrice de 25 ans (morte en 2015), n’a rien perdu de son intensité. Réalisé la même année que la vidéo Semiotics of the Kitchen de Martha Rosler, Jeanne Dielman partage son intérêt pour les gestes domestiques mais s’éloigne de la rage militante pour s’intéresser aux héritages familiaux à travers les gestes qui les perpétuent. Le livre s’inscrit dans une filiation féministe mais s’attache surtout à replacer le film dans le contexte de l’oeuvre de Chantal Akerman, entrant notamment dans les coulisses de sa fabrication, sur la base du scénario original. L’écriture traduit un regard sensible, vise à transmettre la complexité du film, loin d’un discours qui réduirait le quotidien de Jeanne Dielman à une aliénation : « La mise à nu du réel se lit comme une déclaration tenace envers le quotidien plus à découvrir qu’à recouvrir. » Corinne Maury souligne comment Akerman invente avec franchise et grâce la clarté du geste domestique : « Je montrerai plutôt peu d’actions, mais je les montrerai complètement. Ce qu’il est important de démontrer ici, c’est le côté méthodique, sans improvisation, des actes qu’on répète chaque jour dans un ordre déterminé. » Les scènes filmées de face par Babette Mangolte confèrent une certaine sacralité au quotidien, mais aussi aux espaces intérieurs, « simultanément des espaces d’habitation et des espace d’introspection ». Sous-titré « l’Ordre troublé du quotidien », cet essai analyse le dérèglement d’une certaine poétique de l’ordinaire, mais aussi la force de présence des lieux filmés, enjeux majeurs des précédents ouvrages de Corinne Maury.