Un vent pestilentiel A Pestilential Wind
Ce vent pestilentiel qui souffle aujourd’hui sur le monde, et singulièrement sur nous, en France, n’est évidemment pas comparable à celui qui a décimé la population de Londres (100 000 morts) lors de la grande peste de 1665. Du récit qu’en a fait Daniel Defoe dans son Journal, il est à retenir, outre le spectacle effrayant des agonisants, l’effet qu’une peur panique peut avoir sur les humains : violences incontrôlables, pillages, viols, orgies, abolition de tout interdit, de toute règle morale (relisons le Théâtre et la peste d’Antonin Artaud). L’actuelle pandémie de coronavirus nous a heureusement fait grâce de pareils débordements de folie. Néanmoins, pour la juguler, les gouvernants de nos démocraties ont été amenés à restreindre un grand nombre des droits fondamentaux inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ils ont, le plus souvent sans doute à leur corps défendant, créé un climat propice à entretenir cette peur.
Dans ce contexte, l’affaire Gabriel Matzneff qui éclata il y a un an et, plus récemment, celle de Claude Lévêque, accusé lui aussi de pédophilie, ont suscité des réactions qui mettent gravement en danger des règles juridiques comme l’article 11 dit de « la présomption d’innocence », « le droit à la propriété intellectuelle », « le droit moral de l’artiste », et qui ont aidé à la confusion entre la personne du créateur et sa création. Réactions qui amplifient un mouvement que l’on avait vu surgir quand des groupes néo-féministes avaient tenté d’interdire la rétrospective Polanski à la Cinémathèque, puis la projection de son film J’accuse, quand Woody Allen voyait des éditeurs refuser de publier ses mémoires (Stock enfin vint). Tous les livres de Matzneff ont été empêchés de diffusion par les éditeurs qui les avaient publiés en pleine connaissance de leur contenu. Comment, dans ce pays se réclamant des Lumières, en est-on arrivé là ? Que nous sachions, lors de l’affaire Dreyfus, les musées n’ont pas décroché les tableaux du vieil antisémite Degas, ni ceux des peintres visés par l’épuration en 1945. Jean Genet, condamné à plusieurs années de prison, n’a pas vu ses livres interdits. A-t-on fait un autodafé des romans et pamphlets des Brasillach, Drieu, Céline, Jouhandeau, écrivains coupables de collaboration avec l’ennemi, propagande antisémite, et pour quelques-uns de justification de crimes contre l’humanité et crimes de génocide ? Non, les grands éditeurs ont continué de les publier, les ont réédités, parfois dans de prestigieuses collections littéraires. Dernière affaire en date, donc, celle de Claude Lévêque. Dans notre État de droit, avant toute décision de justice, Claude Lévêque bénéficie de la présomption d’innocence. Sauf qu’un tribunal l’a déjà jugé et condamné, le tribunal des réseaux sociaux, soutenu par une massive campagne de presse. C’est ainsi que Libération a publié, rédigée dans la séduisante écriture dite inclusive, une lamentable pétition qu’osèrent signer des « artistes », toute honte bue. Le lynchage, on le sait, est une des sales passions humaines. Conséquence pour Claude Lévêque : sa mort artistique, puisque des institutions, musées, galeries, des commissaires d’exposition, journalistes, enseignants, édiles de grandes villes, collectionneurs, à savoir une grande partie de ceux qui l’avaient porté au pinacle, ont exigé le retrait de ses oeuvres des musées et des lieux publics (le tapis élyséen, création de Claude Lévêque, sera-t-il encore foulé par les mocassins de notre président de la République ?). Écoutons William Faulkner, il parle d’écrivains, ce pourraient être des artistes : « Certains écrivains qui ont besoin de s’unir pour survivre ressemblent aux loups qui ne sont loups qu’en meute et qui, pris séparément, ne sont que chiens parmi d’autres. »
Jacques Henric
This pestilential wind now blowing over the world, and especially over us in France, is obviously not comparable to the one that decimated the population of London (100,000 dead) during the great plague of 1665. From Daniel Defoe’s account in his Journal, one must note, in addition to the frightening spectacle of the dying, the effect that panic combined with fear can have on humans: uncontrollable violence, looting, rape, orgies, the abolition of all prohibitions, of all moral rules (let’s reread Antonin Artaud’s The Theatre and the Plague). The current coronavirus pandemic has fortunately spared us such excesses of madness. Nevertheless, in order to curb it, the leaders of our democracies have been compelled to restrict a large number of the fundamental rights inscribed in the Universal Declaration of Human Rights. They have, most often undoubtedly reluctantly, created a climate conducive to maintaining this fear. In this context the Gabriel Matzneff scandal and, more recently, the case of Claude Lévêque, also accused of paedophilia, have provoked reactions that endanger legal rules such as Article 11, otherwise known as “the presumption of innocence”, “the right to intellectual property”, “the moral right of the artist”, and have fostered confusion between the person of the creator and his creation. Reactions that amplified a movement that had arisen when neo-feminist groups had tried to ban the Polanski retrospective at the Cinémathèque, then the screening of his film An Officer and a Spy, when Woody Allen saw publishers refusing to publish his memoirs (Stock finally came round). All of Matzneff’s books were prevented from being distributed by the publishers who had previously published them with full knowledge of their contents. How, in this country claiming to be of the Enlightenment, have we come to this? As we know, during the Dreyfus affair the museums didn’t take down the paintings of the old anti-Semite Degas. Jean Genet, sentenced to several years in prison, didn’t see his books banned. Have the novels and pamphlets of Brasillach, Drieu, Céline, Jouhandeau, writers guilty of collaboration with the enemy; anti-Semitic propaganda; and for some, justification of crimes against humanity and crimes of genocide, been treated to an auto-da-fé? No, the major publishers have continued to publish them sometimes in prestigious literary collections. The latest case to date, then, is that of Claude Lévêque. In our state of law, before any judicial decision, Claude Lévêque benefits from the presumption of innocence. Except that, a court has already judged and condemned him, the social network court, supported by a massive press campaign. That is how Libération published, in seductive, so-called inclusive writing, a lamentable petition that “artists” dared to sign, shamelessly. Lynching, as we know, is one of the dirty human passions.The consequence for Claude Lévêque: his artistic death, since institutions, museums, galleries, curators, journalists, teachers, city officials, collectors, that is to say a large part of those who had propelled him to the summit, have demanded the removal of his works from museums and public spaces.
Let’s heed the words of William Faulkner. He speaks of writers, but they could be artists: “Some writers who need to unite in order to survive resemble wolves who are wolves only in packs and who, taken separately, are only dogs among others”.
Jacques Henric Translation: Chloé Baker