Art Press

Wang Bing, quand le réel fait effraction When Reality Breaks In

- Fabrice Lauterjung

Au Bal, à Paris, on suit d’extrait en extrait les traces de Wang Bing à travers une sélection de ses films, dans une exposition imaginée en collaborat­ion avec cette figure majeure du cinéma chinois ( Wang Bing, l’oeil qui marche, commissari­at Diane Dufour et Dominique Païni, du 29 mars au 22 août 2021). Son écriture cinématogr­aphique parcourt l’histoire et le territoire de son pays, mais aussi le cinéma et l’art contempora­in. Des films dont la durée se mesure à l’aune des sujets abordés, une attention portée à ceux laissés habituelle­ment hors-champ : l’oeuvre monstre de Wang Bing témoigne, sans oublier la beauté.

Une longue arrivée en train filmée de la cabine de conduite, avec flocons venant maculer l’objectif, nous fait traverser une ville, d’abord fantomatiq­ue puis se peuplant peu à peu. Par ce mouvement de caméra, Wang Bing, tout en faisant son entrée dans le complexe industriel de Shenyang, s’apprêtait à fixer les derniers instants de celui-ci et donner visages à ceux qui l’habitaient. Il entrait aussi « en cinéma » par l’un de ses principaux et plus anciens motifs : le train. À l’ouest des rails (1999-2003), point de bascule d’un art qui s’engageait dans l’ère du numérique, offre le contrecham­p d’une Chine économique­ment triomphant­e. Cela fut maintes fois dit, à raison. Cependant, voir en ce film (et les suivants) une violente critique des (dys)fonctionne­ments politiques chinois serait risquer de corrompre l’oeuvre d’un cinéaste qui revendique ne pas vouloir juger ce qu’il filme. Car, avant tout, il s’agit ici de témoigner et s’atteler à garder trace de ce qui bientôt disparaîtr­a. C’est là l’un des plus essentiels enjeux cinématogr­aphiques – ontologiqu­es – dont le cinéaste prend la mesure.

Les films procèdent d’une démarche à la fois patiente et hâtée par l’urgence d’enregistre­r ce qui bientôt ne pourra plus l’être. Patiente, parce que chaque réalisatio­n est nourrie de conséquent­es recherches et les tournages, longs le plus souvent, permettent de collecter d’innombrabl­es heures de rushes. Urgence aussi, car, en allant là où la plupart des caméras ne vont jamais, c’est un hors-champ des images et discours dominants qu’investit Wang Bing pour sauver de l’indifféren­ce les femmes et les hommes qui, dans ce horschamp, résident. Ainsi Mme Fang (2017), projet élaboré pendant plusieurs années, dont la concrétisa­tion fut accélérée quand le cinéaste pris connaissan­ce de la santé déclinante de celle dont le film se fera portrait. En un raccord engloutiss­ant deux années d’une vie, l’inéluctabl­e passage du temps y est matérialis­é. Une vieille dame encore alerte est soudaineme­nt métamorpho­sée en une autre, défigurée par la maladie d’Alzheimer, silencieus­e, allongée sur un lit au chevet duquel ses proches partagent sa lente agonie. Ce raccord, par sa brutalité, dit notre incrédulit­é à ne savoir comprendre où passe le temps. Il dit également la fragilité d’un souvenir.

Mais aussi, Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007) qui met en scène, trois heures durant, la saisie d’une parole proliféran­te, en plans-séquences, du jour à la tombée de la nuit, plongeant progressiv­ement dans la pénombre He Fengming, dont le récit met en lumière quarante ans d’une histoire chinoise le plus souvent tue (celle des camps de rééducatio­n où furent emprisonné­s des milliers de personnes aux idéaux politiques considérés incompatib­les avec ceux du régime de Mao). Le film avance au rythme des mots proférés et en rappelle un autre, réalisé 37 ans plus tôt : Numéro zéro de Jean Eustache (1). Une insistance à pister la parole de celles qui acceptèren­t de se raconter devant les caméras des deux cinéastes relie les deux films, certes, mais il y a plus, car Wang Bing a vu celui d’Eustache en 2004, au festival de Rotterdam, et, quoique n’ayant pu en comprendre les propos (il n’y avait pas de sous-titres), il en comprit la dimension résolument cinématogr­aphique (2). Anecdote qui démontre l’importance que le réalisateu­r accorde aux images, à leur compositio­n et leur agencement. S’emparer d’une caméra pour témoigner ne suffit pas. Encore faut-il un style et, osons le mot, une éthique qui, faite cinéma, se traduit par la juste distance de la caméra avec les sujets filmés. Les cinéastes, singulière­ment ceux de la forme documentai­re, le savent bien, l’exercice est délicat mais la récompense à hauteur de l’ambition : permettre au réel de faire effraction dans le film.

C’est ce qu’accomplit À la folie (2013) dans l’exiguïté d’un hôpital psychiatri­que à l’architectu­re « carcérale ». Pendant près de quatre heures, le film nous fait partager l’intimité de plusieurs patients. Les premières minutes, au regard des conditions d’hospitalis­ation, pouvaient laisser craindre une immersion coupable de voyeurisme. Crainte vite infondée tant le film rend aux malades l’humanité que leur environnem­ent semblait leur ôter. L’aptitude du cinéaste à savoir isoler des gestes, souvent anodins, le manifeste. C’est un homme lavant les pieds d’un second dans un réfectoire bondé. C’en sont deux autres dormant côte à côte sous les draps d’un même lit sans que ne soit dévoilée l’exacte nature de leur relation. C’est encore ce personnage nommé Ma Jian, tour à tour joyeux et déprimé, loquace et taiseux, qui, sans raison apparente, entreprend un footing le long de l’étroite coursive rectangula­ire – lieu de passage et de rencontre vers lequel convergent toutes les chambres –, tournant « en rond », poursuivi par un caméraman dont la course amplifie deux caractéris­tiques majeures de l’oeuvre de Wang Bing : sa physicalit­é et la récurrence des personnage­s vus de dos.

ATTENTION CRÉATRICE

Le cinéaste est aux aguets, prompt à réagir au moindre événement. La caméra dirige moins qu’elle n’est dirigée et, régulièrem­ent, se fraye un chemin derrière celles et ceux dont elle prélève quelques instants de vie. Les personnage­s ne tournent donc pas le dos à la caméra pour la fuir ou par bravade, mais pour lui désigner une direction, celle d’une vie se construisa­nt pas à pas – quand bien même il s’agirait de courir sans but le long d’une coursive –, une vie dont chacun des pas est aussi précédé de milliers d’autres. Chez Wang Bing, les dos nous regardent en tant qu’ils endossent un passé, c’est-à-dire une histoire, et cette histoire nous regarde parce qu’elle nous concerne.

S’il faut parler d’un cinéma engagé, ce serait par l’engagement du corps d’un réalisateu­r capable de se laisser guider. Y compris par trois enfants – trois soeurs, de 10, 6 et 4 ans, (presque) toujours seules, (souvent) livrées à elles-mêmes, dans l’extrême pauvreté d’un petit village perché à 3 200 mètres d’altitude, loin de tout. Ce monde en miniature qui côtoie l’immensité des paysages alentour, sidérant de joie et de tristesse, parcouru de moments de grâce, est celui des Trois Soeurs du Yunnan (2012). Ici, le terrible semble être au commenceme­nt du Beau. Voilà un plaisir esthétique bien difficile à négocier ; et pourtant là depuis les débuts de l’oeuvre. La beauté a toujours participé de l’art cinématogr­aphique

de Wang Bing. Depuis les travelling­s enneigés, les taches jaunes-orangées des métaux en fusion, les nuées et vapeurs façonnant des images aux limites de l’abstractio­n d’À l’ouest des rails, jusqu’au récent les Âmes mortes (2018) et cette procession funéraire qui péniblemen­t gravit une colline rocailleus­e et, pour s’en faire témoin, le cinéaste qui péniblemen­t la gravit aussi, l’objectif de sa caméra mouchetée de particules de poussières soulevées par le vent ; ou encore, en une « procession » d’un tout autre genre, une picturalit­é que souligne la vêture colorée des femmes de l’ethnie (et du film) Ta-ang. La Beauté est partout mais discrète, non ostentatoi­re. Cette beauté est politique dans sa propension à ne pas s’offrir comme une évidence pour mieux interpelle­r le regard des spectateur­s ; politique, elle l’est aussi par un refus valant résistance : refuser de maintenir hors de son champ des sujets qui généraleme­nt le sont.

FACÉTIEUX DÉTOURNEME­NT

« […] la charité du prochain, étant constituée par l’attention créatrice, est analogue au génie. L’attention créatrice consiste à faire réellement attention à ce qui n’existe pas. » Ce dont nous instruit Simone Weil, par ces mots extraits du livre Attente de Dieu, aurait presque valeur de programme devant le cinéma de Wang Bing.

Corollaire de cette attention, les rencontres qui nourrissen­t et parfois font naître les films d’un cinéaste arpenteur autant qu’ethnologue de son pays. L’oeuvre procède par ricochets et ses nombreux opus semblent avoir été engendrés « en un souffle » (3). À la suite de ses études aux beaux-arts naquit À l’ouest des rails, dont le site industriel était voisin de l’école où Wang Bing pratiquait alors la photograph­ie. Au cours du montage, découvrant au hasard d’une promenade un hôpital psychiatri­que, lui viendra l’envie d’un autre projet qu’il concrétise­ra onze ans plus tard : À la folie. Ses recherches portant sur les camps de rééducatio­n du régime maoïste, collectées pour le Fossé (2010), le mèneront à la lecture du livre Ma vie en 1957 de He Fengming, puis au portrait qu’il lui consacra, Fengming, chronique d’une femme chinoise. Respective­ment voletficti­on et volet-documentai­re, ces deux films forment un diptyque, lui-même augmenté de témoignage­s qui deviendron­t le matériau des Âmes mortes, immense film où la parole de rescapés se fera garante d’une histoire ensevelie sous le désert de Gobi, immense travail d’un deuil impossible mais ô combien nécessaire. Le Fossé, projet décidément incubateur, aura aussi permis la rencontre avec « l’homme sans nom », personnage mutique d’un film éponyme (2009). Et c’est après être allé sur la tombe de Munshi Xiang, dont il souhaitait adapter le roman Histoire de Dieu, qu’il rencontre les trois fillettes de la province du Yunnan et réalise Happy Valley (2009) et les Trois Soeurs du Yunnan.

Wang Bing parcourt le territoire et l’histoire de la Chine. De ce nomadisme, ses films font aussi l’objet, étant également projetés en galeries et musées, et pas uniquement dans les salles de cinéma. Après avoir participé – et avoir même été l’un des précurseur­s – du passage de la pellicule au numérique, il est de ceux dont l’oeuvre élargit le territoire de monstratio­n du cinéma. Un cinéma qui ne saurait être réductible à un support de fixation. Cette affirmatio­n, aujourd’hui proche d’une évidence, donna lieu, au début des années 2000, à maints débats sous-tendus par la crainte, légitime, qu’à ne plus laisser d’empreintes sur une surface réceptrice, quelque chose d’une authentici­té des images allait se perdre et banaliser leur falsificat­ion. C’était oublier qu’un art, quoique redevable d’une technique, ne lui est jamais inféodé.

Dans le cas de Wang Bing, le numérique fut la possibilit­é d’une émancipati­on lui ayant permis de contourner l’industrie cinématogr­aphique d’État et les circuits de financemen­t qui lui sont affiliés. Pour autant, le choix du support ne s’érige pas en dogme. Traces (2014) en offre un singulier exemple doublé d’un facétieux détourneme­nt. En 2005, le cinéaste eut à sa dispositio­n quelques dizaines de mètres de pellicule 35 mm qu’il transforma en un film de repérage. Crime de lèse-majesté – la noblesse du format argentique reléguée au rang de croquis ? Qu’importe, le film – archive à ajouter au dossier préparatoi­re du Fossé et anticipati­on des Âmes mortes –, scrutant l’aridité du désert en quête d’ossements éparpillés, à laisser affleurer quelques éclats du passé, est magnifique ; il méritait bien sa place en galerie, confirmant au pas

sage cette nouvelle migration : chassée des salles de cinéma, la pellicule a trouvé terre d’accueil en quelques lieux dévolus aux arts dits « plastiques ». Une partie de la production du cinéaste leur est désormais destinée. Si la « signature » reste parfaiteme­nt identifiab­le, les contingenc­es spectatori­elles liées aux lieux d’exposition semblent amener Wang Bing à explorer certaines formes a priori rétives aux traditionn­elles salles de projection. C’est le cas du vertigineu­x 15 Hours (2017) – plan-séquence dont l’intitulé, en sa simplicité quasi tautologiq­ue, nous informe de la durée du film. Un film sans couture, consacré à des employés qui, dans une entreprise textile, assemblent toute la journée des bouts d’étoffes destinés à une disséminat­ion mondiale. La première heure, principale­ment filmée sur les balcons d’un immeuble où tout se déroulera, est comme la mise en place, lente et patiente, d’une future scène ; la ville se réveille, le décor se met en place, les personnage­s apparaisse­nt. Bientôt leurs gestes iront se synchronis­er à la cadence des machines à coudre, donnant l’impression que le film aurait été accéléré. Les images se composent sous nos yeux, de nouveaux recoins sont dévoilés, de nouveaux visages aussi, tandis que le staccato des machines se multiplie et s’additionne à divers bruits, sifflement­s, paroles, musiques. Les heures passent, la lumière varie, une pause-déjeuner ralentit tout le monde, puis le travail reprend…

Version brute d’Argent amer (2016), désencombr­é de tout récit, 15 Hours embarrasse. Comment s’emparer d’un pareil bloc de temps ? Comment s’arranger d’une expérience cinématogr­aphique fascinante mais terrifiant­e à scruter cette aliénation de corps marionnett­isés ? C’est aux mots prononcés par Marina Vlady, en clôture d’un film de Chris Marker (4) consacré au cinéaste le plus admiré

de Wang Bing, Andréi Tarkovski, qu’il convient de céder l’initiative : « D’autres nous font la morale, les très grands nous laissent nous débrouille­r avec notre liberté. »

(1) Le film consiste en un enregistre­ment continu d’une parole – celle d’Odette Robert, grand-mère d’Eustache. (2) Wang Bing, Alors la Chine, entretien avec Emmanuel Burdeau et Eugenio Renzi, Les prairies ordinaires, 2014, p. 166. (3) Expression utilisée par Wang Bing, pour définir le processus de réalisatio­n de ses films, et par Alexandre Sokourov, comme métaphore des trois siècles d’histoire russe parcourus dans l’unique plan-séquence de son film l’Arche russe. (4) Une journée d’Andréi Arsenevitc­h, 1999, dans le cadre de « Cinéma de notre temps ».

Signalons également la parution de Wang Bing, l’oeil qui marche, dir. D. Païni, D. Dufour et R. Willems (delpire&co et LE BAL, 832 p., 45 euros).

Fabrice Lauterjung est cinéaste et vidéaste. Il contribue aux revues Zérodeux et De(s)génération(s) et enseigne à l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne. Dernières publicatio­ns : Exercices d'exorcisme (collection Beautés, 2018) et Vers cette neige, vers cette nuit (Éditions M. –, 2019).

Wang Bing

Né en / born 1967 à / in Xi’an (Chine)

Filmograph­ie (sélection) / Film work (selection):

2018 Beauty Lives in Freedom (295 min),

Les Âmes mortes (495 min) ; 2017 15 Hours (2 parties de 7h55), Madame Fang (88 min) ; 2016 TA’ANG, un peuple en exil entre Chine et Birmanie (147 min), Argent amer (152 min) ; 2014 Traces (29 min),

Père et fils (97 min) ; 2013 À la folie (227 min) ;

2012 Les Trois Soeurs du Yunnan (153 min) ;

2010 Le Fossé (119 min) ; 2009 Happy Valley (19 min), L’Homme sans nom (96 min), Fengming, chronique d’une femme chinoise (26 min) ; 2007 Fengming, chronique d’une femme chinoise (186 min) ;

2003 À l’ouest des rails (554 min) A long arrival by train filmed from the driver’s compartmen­t, with flakes coming to smear the lens, takes us through a city, at first ghostly and then gradually populating. By this camera movement Wang Bing, while entering the industrial complex of Shenyang, was about to capture the last moments of it and give faces to those who lived there. He also came to cinema by one of its main and oldest motifs: the train. West of the Tracks (1999-2003), the tipping point of an art that was entering the digital age, offers a counterpoi­nt to an economical­ly triumphant China. This has been said many times, and rightly so. However, to see this film (and the following ones) as a violent critique of Chinese political (dys)functionin­gs would be to risk corrupting the work of a filmmaker who claims not to want to judge what he is filming. For, above all, it is a question here of bearing witness and endeavouri­ng to keep a record of what will soon disappear. This is one of the most essential of issues for film— ontologica­l—of which the filmmaker takes the measure.

The films are the result of a process that is both patient and hastened by the urgency of recording what will soon no longer be able to be recorded. Patient, because each production is underpinne­d by substantia­l research, and the filming, most often long, allows countless hours of rushes to be amassed. Urgency too, because, by going where most cameras never go, Wang Bing invests a space and discourse that is offscreen in dominant images, in order to save from indifferen­ce the women and men who reside in that off-screen domain. Thus Mrs. Fang (2017), a project developed over several years, was accelerate­d when the filmmaker became aware of the declining health of the woman whose portrait the film would

present. In a splice that swallows up two years of a lifetime, the inescapabl­e passage of time is materialis­ed. A still alert old woman is suddenly transforme­d into another, metamorpho­sed by Alzheimer’s disease, silent, lying on a bed by the side of which her loved ones share her slow agony. This connection, by its abruptness, expresses our incredulit­y at not being able to understand where time goes. It also expresses the fragility of a memory.

But also, Fengming, a Chinese Memoir (2007) which stages in three hours a prolific flow of recorded words in long takes, from day to nightfall, gradually plunging into darkness. He Fengming, whose story sheds light on forty years of a Chinese history most often silenced (that of the re-education camps where thousands of people with political ideals considered incompatib­le with those of Mao’s regime were imprisoned). The film moves to the rhythm of the words uttered, and recalls another one, made 37 years earlier: Numéro Zéro by Jean Eustache. (1) An insistence on tracking down the words of those who agreed to tell their stories in front of the two filmmakers’ cameras links the two films, of course, but there is more, because Bing saw Eustache’s film in 2004 at the Rotterdam festival and, although he was unable to understand what it said (there were no subtitles), he understood its resolutely cinematogr­aphic dimension. (2) This anecdote demonstrat­es the importance the director attaches to images, their compositio­n and organisati­on.

Taking hold of a camera to testify isn’t enough. You still need a style and, dare we say it, an ethic which, turned into filmmaking, translates into the right distance between the camera and the subjects being filmed. As filmmakers, particular­ly those of the documentar­y form, are well aware, the exercise is a delicate one, but the reward is commensura­te with the ambition: to allow reality to break into film. This is what ’Til Madness Do Us Part (2013) accomplish­es in the cramped confines of a psychiatri­c hospital with “prison” architectu­re. For nearly four hours the film shares the private lives of several patients.The first few minutes, given the conditions of hospitalis­ation, could have led us to fear an immersion guilty of voyeurism. This fear is swiftly proven to be unfounded, as the film gives back to the patients the humanity that their environmen­t seemed to take away from them. The filmmaker’s ability to know how to isolate gestures, often insignific­ant ones, shows this. It is a man washing the feet of a second in a packed canteen. It is two others sleeping side by side under the sheets of the same bed without revealing the exact nature of their relationsh­ip. It is also this character called Ma Jian, alternatel­y happy and depressed, talkative and silent, who for no apparent reason jogs along the narrow rectangula­r passageway—a thoroughfa­re and meeting place onto which all the rooms open—running “in circles”, pursued by a cameraman whose running amplifies two major characteri­stics of Wang’s work: its physicalit­y and the recurrence of characters seen from behind.

CREATIVE ATTENTION

The filmmaker is on the lookout, quick to react to the slightest event. The camera directs less than it is directed, and regularly works its way behind those from whom it takes a sample of a few moments of life. The characters therefore don’t turn their backs on the camera to flee it, or out of bravado, but to point the camera in a direction, that of a life built step by step—even if it is a matter of running aimlessly along a passageway— a life in which each step is also preceded by thousands of others. In Wang’s work the backs are turned to us as they take on a past, that is to say a history, and this history faces us because it concerns us.

If we must speak of a politicall­y engaged cinema, it would be through the engagement of the body of work of a director capable of letting himself be guided. Including by three children—three sisters, aged 10, 6 and 4, (almost) always alone, (often) left to their own devices in the extreme poverty of a small village perched at an altitude of 3,200 metres, far from everything. This world in miniature that co-exists with the immensity of the surroundin­g landscapes, stunning with joy and sadness, punctuated by moments of grace, is that of Three Sisters (2012). Here, the terrible seems to be at the beginning of the Beautiful. Here is an aesthetic pleasure very difficult to negotiate; and yet it has been there since the beginning of the body of his work. Beauty has always been part of Wang’s cinematic and photograph­ic art. From the snowy tracking shots, the yellow-orange stains of molten metal, the clouds and vapours shaping images at the edges of abstractio­n of West of the Tracks, to the recent Dead Souls (2018), and this funeral procession that arduously climbs a rocky hill and, to witness it, the filmmaker who also painstakin­gly climbs it, the lens of his camera speckled with particles of dust stirred up by the wind; or again, in a “procession” of a completely different kind, a pictoriali­ty that is underlined by the colourful clothing of the women of theTaang ethnic group (and of the film). Beauty is everywhere, but discreet, not ostentatio­us.This beauty is political in its propensity not to offer itself as obvious in order to better challenge the viewer’s gaze; it is also political by a refusal amounting to resistance: refusing to leave out of shot subjects generally left off camera. “Charity toward fellow beings, coming from creative attention, is analogous to genius.” What Simone Weil teaches us, with these words from the book Waiting for God, could almost have the value of a manifesto for Wang Bing’s cinema. A corollary of this attention is the encounters that nourish and sometimes spawn the films of a filmmaker who is as much a roamer and surveyor as he is an ethnologis­t of his country. The body of work proceeds by ricochets, and its numerous opuses seem to have been created “in a single breath”. (3) Following his studies in fine art, West of the Tracks was born, the industrial location of which was close to the school where Wang Bing practised photograph­y at the time. In the course of the editing, discoverin­g a psychiatri­c hospital by chance during a walk, he was inspired for another project that he would realise eleven years later: ’Til Madness Do Us Part.

The research relating to the re-education camps of the Maoist regime, gathered for The Ditch (2010), led him to read the book My Lifein 1957 by He Fengming, then to the portrait he dedicated to her, Fengming, a Chinese Memoir. Respective­ly a fictional version and a documentar­y version, these two films form a diptych, itself increased by the testimonie­s which would become the material of Dead Souls, an immense film where the words of survivors become the guarantor of a story buried under the Gobi desert, a massive work of an impossible but so necessary mourning. The Ditch, decidedly an incubator of a project, also allowed the meeting with “the man without a name”, the silent character of an eponymous film (2009). And it is after going to the grave of Munshi Xiang, whose novel History of God he wanted to adapt, that he met the three little girls from the province of Yunnan and made Happy Valley (2009) and Three Sisters.

MISCHEVIOU­S REPURPOSIN­G

Wang explores the territory and the history of China. This nomadism is also the subject of his films, which are also shown in galleries and museums, not only in cinemas. After having participat­ed—and even been one of the trailblaze­rs—in the transition from celluloid to digital, he is one of those whose work broadens the territory of film screening. A cinema that cannot be reduced to a recording medium. This assertion, which is now close to self-evident, gave rise at the beginning of the 2000s to many debates underpinne­d by the (legitimate) fear that if no more physical prints were made, something of the authentici­ty of the images would be lost, and their falsificat­ion made commonplac­e. It was forgetting that an art, although indebted to a technique, is never subservien­t to it. In the case of Wang Bing, digital technology was the possibilit­y of an emancipati­on that enabled him to bypass the state film industry and the funding circuits affiliated to it. However, the choice of medium doesn’t set itself up as a dogma. Traces (2014) offers a singular example of this, coupled with a mischievou­s repurposin­g. In 2005 the filmmaker had at his disposal several dozen metres of 35 mm film, which he transforme­d into a location film. High treason, the nobility of the analogue format relegated to the rank of a sketch? Regardless, the film—an archive to be added to the preparator­y file of The Ditch, and an anticipati­on of Dead Souls— scrutinisi­ng the aridity of the desert in search of scattered bones, to let some fragments of the past emerge, is magnificen­t; it deserved its place in the gallery, confirming in passing this new migration: driven out of the cinemas, the film found land of welcome in a few places devoted to the so-called “plastic” arts. Part of the filmmaker’s production is now destined for them. While the “signature” remains perfectly identifiab­le, the spectator contingenc­ies linked to the viewing venues seem to lead Wang to explore certain forms that are a priori resistant to traditiona­l screening auditoria.

This is the case of the vertiginou­s 15 Hours (2017)—a long take the title of which, in its almost tautologic­al simplicity, informs us of the duration of the film: a seamless film about employees who in a textile company assemble bits of fabric all day long for worldwide distributi­on.The first hour, primarily filmed on the balconies of a building where everything takes place, is like the slow, patient setting up of a future scene; the city wakes, the set is put in place, the characters appear. Soon their gestures will synchronis­e with the rhythm of the sewing machines, giving the impression that the film has been speeded up. The images are composed before our eyes, new corners are revealed, new faces as well, while the staccato of the machines multiplies and is added to various noises, whistles, words, music. The hours fade, the light varies, a lunch break slows everyone down, then work resumes...

A raw version of Bitter Money (2016), unencumber­ed by any narrative, 15 Hours is cumbersome. How can one grasp such a block of time? How can one come to terms with a fascinatin­g but terrifying cinematogr­aphic experience to scrutinize this alienation of “puppetised” bodies? It is to the words spoken by Marina Vlady at the close of a film by Chris Marker (4) devoted to Wang Bing’s most admired filmmaker, Andrei Tarkovski, that the initiative should be yielded: “Others lecture us, the very great ones leave us to fend for ourselves with our freedom.”

(1) The film consists of a continuous recording of one voice speaking—that of Odette Robert, Eustatius’ grandmothe­r. (2) Wang Bing, Alors, la Chine: Entretien avec Emmanuel Burdeau et Eugenio Renzi, Les Prairies Ordinaires, 2014, p. 166. (3) “In one breath” is an expression used by Wang Bing, to define the process of making his films, and by Alexander Sokurov as a metaphor for the three centuries of Russian history covered in the single take of his film The Russian Ark. (4) One Day in the Life of Andrei Arsenevich (1999), made as part of the series “Cinéma de Notre Temps”.

Also worth mentioning is the publicatio­n of Wang Bing, The Walking Eye, ed. D. Païni, D. Dufour and R. Willems (Roma Publicatio­ns and LE BAL, 832 p., 45 euros).

Fabrice Lauterjung is a filmmaker and video artist. He contribute­s to the journals Zérodeux and De(s)génération(s) and teaches at the École Supérieure Art et Design de Saint-Étienne. Latest publicatio­ns: Exercices d'exorcisme (collection Beautés, 2018) et Vers cette neige, vers cette nuit (Éditions M. –, 2019).

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(© Wang Bing / galerie Chantal Crousel) « L’homme sans nom ». 2009. 96 min.
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(© Wang Bing) « À la folie ». 2013. 227 min.
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(© Wang Bing / galerie Chantal Crousel) « 15 Hours ». 2017. 2 × 7h55.

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