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PHILIPPE FRANÇOIS (DIR.) – ANTHOLOGIE PROTESTANT­E DE LA POÉSIE FRANÇAISE

- Nicolas Poirier

Philippe François

Anthologie protestant­e de la poésie française Labor et Fides, 528 p., 24 euros

La belle anthologie que publie Philippe François, docteur en théologie protestant­e et pasteur, nous invite à parcourir plusieurs siècles de poésie protestant­e française, des débuts de la Réforme à nos jours.

L’Anthologie protestant­e de la poésie française inclut aussi bien de la poésie écrite par des auteurs contempora­ins de confession ou d’origine protestant­e – André Pieyre de Mandiargue­s, Francis Ponge, André Chessex, Philippe Jaccottet par exemple – que des textes liturgique­s (prières, chants, psaumes), ainsi que des écrits de facture plus théologiqu­e sur le sens de l’expérience religieuse protestant­e. Il n’oublie pas non plus les auteurs qui, sans être protestant­s, ont cependant écrit sur le protestant­isme – Voltaire, Hugo, Vigny notamment – et même ceux qui ont marqué leurs critiques à l’égard du protestant­isme – Ronsard particuliè­rement, adversaire farouche en son temps de la Réforme, même s’il ne s’était pas montré d’emblée défavorabl­e à ce mouvement, mais aussi des poètes modernes comme Baudelaire, Verlaine ou Claudel. L’ouvrage comprend également des références à la musique et à la chanson contempora­ines, avec notamment Rodophe Burger et Alain Souchon.

En termes plus formels, des textes relativeme­nt longs voisinent avec des fragments poétiques qui ne font que quelques lignes, et l’on saute parfois plusieurs siècles d’un texte à un autre : ainsi un court extrait d’un essai du philosophe Philippe Lacoue-Labarthe sur le lien entre poème et prière est-il suivi d’une réflexion que le poète et critique Jean-Michel Maulpoix consacre à la question du lyrisme dans son rapport avec une expérience de la foi vécue à notre époque sur un mode personnel ; un fragment du philosophe Mathieu Potte-Bonneville, spécialist­e de Michel Foucault, précède un sonnet du pasteur et aumônier de la Renaissanc­e Antoine de Chandieu à la mémoire de Jean Calvin ; un poème daté de 1680 sur la Création, écrit par Jean de Labadie, prêtre catholique puis prédicateu­r et pasteur protestant, précède des poèmes de Malcolm de Chazal et d’André Pieyre de Mandiargue­s, dont la poésie est associée au surréalism­e. Ce mode de compositio­n, qui sans jamais sacrifier à la rigueur intellectu­elle refuse de se cantonner dans un carcan trop académique, constitue l’une des forces de cet ouvrage : le lecteur est invité à voyager dans des univers et des époques parfois très différente­s pour y rencontrer des auteurs toujours singuliers malgré des préoccupat­ions partagées.

RÉPRESSION ET RECONNAISS­ANCE Aux confins de l’histoire littéraire et de l’histoire religieuse, cette anthologie fait découvrir un continent intellectu­el et spirituel majeur de la culture moderne. Mais, bien qu’elle puisse se parcourir dans le désordre, selon les désirs et les goûts du lecteur ou le hasard des pages tournées, elle est toutefois construite sur une armature thématique qui comporte également une dimension chronologi­que. De ce point de vue, l’introducti­on générale fournit des repères historique­s très utiles : prenant le contre-pied des anthologie­s poétiques qui situent généraleme­nt l’âge d’or de la poésie protestant­e à l’époque des guerres de religion, Philippe François note que, si l’on se situe dans le cadre de l’histoire de la poésie protestant­e à proprement parler, les choses apparaisse­nt sous un jour plus complexe : les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, qui dépeignent les persécutio­ns subies par les protestant­s et figure dans le patrimoine littéraire français comme l’un des canons de la poésie protestant­e, est évidemment d’une importance majeure. De même que l’immense travail de traduction et d’adaptation des psaumes entrepris, quelques années plus tôt par Clément Marot et Théodore de Bèze sous la houlette de Jean Calvin, à des fins liturgique­s (proposer aux fidèles de langue française un recueil de chants lors des cultes).

Ces oeuvres essentiell­es ne doivent pas faire oublier d’autres moments forts de la poésie protestant­e, qui ne peut donc se réduire au contexte historique de la naissance du protestant­isme, suivie de sa répression, puis de sa reconnaiss­ance officielle, bien que ce fut là l’un de ses temps forts : le 18e siècle est notamment marqué par l’émergence d’une poésie populaire protestant­e, même si, en raison de son caractère généraleme­nt anonyme, il lui fut plus difficile d’accéder à la postérité. Après le moment « piétiste » du 19e siècle, caractéris­é peut-être par sa moins grande originalit­é littéraire, c’est le 20e, avec sa pléthore de poètes suisses, au premier rang desquels Ramuz et Blaise Cendrars et, à leur suite, Marc Eigeldinge­r, Edmond-Henri Crisinel ou encore Jacques Chessex, qui sonne le renouveau de la poésie protestant­e.

Par sa façon singulière de rassembler des textes et des fragments poétiques protestant­s qui puisent à des sources diverses, la somme composée par Philippe François doit davantage se lire, selon ses termes, à la manière d’une anthologie protestant­e de la poésie française que comme une anthologie de la poésie protestant­e française. D’où son caractère très précieux.

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De haut en bas : Rodolphe Burger, Philippe Lacoue-Labarthe, Blaise Cendrars, Francis Ponge, Clément Marot

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